Critique du film How to Save a Dead Friend

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Par Super Seven

le 28/06/2023

SuperSeven :

Sauver la mémoire de l’être cher

A ses 16 ans, Marusya Syroechkovskaya n’avait qu’une seule idée en tête : en finir avec la vie. C’est pourtant la même année que sa vie prend un tournant décisif lorsqu’elle rencontre Kimi, son futur grand amour. Une tout autre idée surgit alors : filmer cet amour naissant et son évolution pendant près de douze ans au sein d’une « Russie de la déprime », sous Poutine ; un amour se battant entre espoir de vie et soudaine dépression…

Ce documentaire curieux et passionnant donne l’impression d’avoir affaire à une histoire toute prête, travaillée en amont, organisée, tant la continuité dans la relation entre Marusya et Kimi est digne d’un scénario bien ficelé. En vérité, Marusya Syroechkovskaya n’avait, au préalable, pas prévu de faire de ces archives une œuvre destinée au public. Ce qui, au premier abord, paraît comme une exposition de l’intimité d’un jeune couple se mue en un plaidoyer sur l’envie de dénoncer une dépression persistante vécue par des jeunes personnes en manque de moyens.

Le titre How to save a dead friend pourrait tout d’abord faire faussement allusion à Marusya elle-même. Désœuvrée à seulement 16 ans, elle est sauvée par un être envers qui elle ne tarde pas à éprouver le sentiment le plus pur. Kimi a lui-même vécu des descentes aux enfers, à cause de la drogue et de nombreuses dépressions, mais il semble s’en être débarrassé et symbolise un pilier pour Marusya, celui autour de qui tout – y compris son film – s’axe. Il est celui sur qui elle peut se raccrocher, sur qui elle peut compter ; il a parfois vu le pire et, lorsque Marusya manque de plonger à nouveau, la maintient hors de l’eau avec un humour noir, signe évident de leur complicité. Leur amour se manifeste dans leur chasse conjointe des démons de la jeune femme, avec l’expérience pour Kimi quant à l’éradication des siens – qui ne sont, en réalité, tristement jamais vraiment partis.

Le point de départ a tout d’une lubie d’adolescente ; éprise de son premier amoureux, elle est obsédée par l’envie de filmer tous les moments qu’ils passent ensemble, lesquels, progressivement, sont autant teintés d’amusement, de tendresse que de désespoir. Rien n’est mis de côté : les fêtes, l’alcool ou les plaisanteries un peu douteuses de Kimi, les témoignages de tentatives de suicide de leur entourage amical. Cette frénésie du montage culmine dans un certain épuisement ; les années passent et le couple finit par s’installer dans une routine. Kimi a beau être sublimé par le regard de Marusya (le sien réel, et celui de la caméra), il dépérit sous nos yeux, physiquement et mentalement. Les piqûres sur ses bras sont difficilement dissimulées, et les enchaînements dans les centres de désintoxication auront raison de lui.

Derrière le chagrin apparent, Marusya pointe du doigt le gouvernement russe, responsable du niveau de vie d’un bon nombre de jeunes, contraints de subir une oppression permanente, notamment lorsqu’ils tentent de se révolter, lors de manifestations. Elle, qui a depuis fui son pays, démontre une spirale infernale de laquelle elle a eu du mal à s’extraire, mais dont beaucoup de ses proches n’auront jamais l’occasion de réchapper, Kimi inclus. Le récit intime mue en cri générationnel, peinture d’une réalité occultée à l’exposition on ne peut plus nécessaire.
How to save a dead friend tend à préserver le souvenir de celui que Marusya Syroechkovskaya a aimé, celui qui lui a redonné espoir quand celui-ci ne lui semblait plus permis. Kimi continue d’exister, non plus seulement au travers des archives conservées par Marusya mais aussi par le regard des spectateurs. Il est le reflet de la jeunesse russe qui lutte à transmettre une rage de vivre. Kimi a sauvé Marusya, qui se croyait déjà morte à 16 ans ; Marusya le sauve à son tour, après sa mort, car le souvenir qu’elle nous transmet de lui est bel et bien vivant.


Talia Gryson

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