Critique du film How to Have Sex

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Par Super Seven

le 11/06/2023

SuperSeven :


Depuis deux ans, la sélection Un Certain Regard de Cannes s’est recentrée sur son objectif initial : découvrir les premières — mais pas forcément LA première — œuvres de cinéastes émergents ou en quête de l’ultime confirmation pour ensuite fouler le gazon du graal du Festival : La Compétition. Par exemple, l’an dernier, le véritable coup de cœur de la section, War Pony du duo Gina Gammell & Riley Keough, avait remporté la Caméra d’Or ; avant de connaître, à sa sortie récente, un vrai plébiscite critique auquel nous n’avons pas manqué de participer, bien qu’avec un peu de nuance. Cette année, c’est How To Have Sex, de la directrice de la photographie et maintenant réalisatrice Molly Manning Walker, qui est reparti avec les honneurs – en étant de nouveau notre coup de cœur –, sans Caméra d’Or mais avec le prix Un Certain Regard.

Un prix qui fait sens, tant How To Have Sex capte justement l’idée du regard. D’une part, celui de la réalisatrice — dont ce film ressort de son expérience personnelle — mais aussi du regard de la Femme dans un sens bien plus large. Effectivement, derrière le Spring Break du premier tiers, How To Have Sex mue très vite en un récit plus intime, plus angoissant, troquant le superficiel pour un point de vue plus universel et franc. Molly Manning Walker n’a pas l’intention de faire un film « coup de poing » — un terme détestable et galvaudé —, mais joue habilement d’une rupture sèche de ton, pour amener à réfléchir sur une réalité partagée, inconfortable, mais importante à comprendre.

D’abord, elle s’amuse à sauter à pieds-joints dans tous les clichés que ce type de célébration purement américaine — bien que sur sol grec dans How To Have Sex — amène. Musique pop, couleurs vives, allusions sexuelles débridées, tout y passe. Au fil des rencontres et des soirées, la réalisatrice instaure surtout un grand sens de l’humour, très naturel — et très certainement improvisé — qui aide le spectateur à entrer dans ce sens de la démesure étudiante. Les trois jeunes femmes que nous suivons, avant de se recentrer un peu plus sur Tara (jouée par la révélation Mia McKenna Bruce), sont très attachantes et l’on se prend au jeu de leur péripétie nocturne enjouée. Ce n’est que quand Tara développe un but précis — perdre sa virginité —, que Manning Walker l'écarte progressivement du groupe.

Alors la rupture intervient, affectant également la mise en scène : changements de point de vue, arrêt d’effets… Il n’est pas question de choquer mais bien de questionner le spectateur, de le mettre en face du plaisir qu’il exerçait à suivre la « conquête de féminité » de Tara. En basculant sur le point de vue des autres personnages, et donc en effaçant totalement McKenna Bruce, le film interroge. How To Have Sex devient même malin, à travers un enjeu à l’opposé du manichéisme : qu’est-il arrivé à Tara ? Serait-ce la faute d’un homme ? de ses amies ?
La rivalité féminine est au cœur du questionnement sur l’agression (physique ou morale), mettant en lumière une réalité que l’on voudrait trop simple. Certes, « l’acte » est commis par une personne, particulièrement fautive, mais comment en est-on arrivé là ? Par pression sociétale ? Par rivalité ou par jalousie ?

Quand Tara reprend la narration du film, la mise en scène se réadapte au même titre que sa vision du monde a changé. Plans plus serrées, éloignement total de ses pairs et du décor — son trauma est personnel, elle ne veut pas le partager. À vouloir se trouver, Tara n’est plus la même mais pas celle qu’elle aurait voulue. La représentation des actes en question est toutefois très intelligente. Loin de la vulgarité qu’on pourrait attendre, Manning Walker joue de la pudeur et de l’inconfort sur les scènes particulièrement sexuelles et d’agression ; la «banalité» avec laquelle elle montre cela est des plus surprenantes. C’est ici que l’on revient à l’universalité de la chose, il n’y a pas besoin de forcément montrer des actes déjà bien connus et dénoncés aujourd’hui.

Si la manière avec laquelle How To Have Sex a été vendu aux festivaliers laissait sûrement penser à un beau moment fun en perspective, Molly Manning Walker est plus du genre à laisser repartir avec une mémorable gueule de bois.


Pierre-Alexandre Barillier

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