Critique du film Hokusai

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Par Super Seven

le 24/05/2023

SuperSeven :


Lorsque l’on pense artiste japonais et de surcroît peintre japonais, le premier nom qui vient souvent à l’esprit est celui d’Hokusai. Derrière ce nom se cache souvent celui de son œuvre la plus célèbre, Kanagawa-oki nami-ura ou La Grande Vague de Kanagawa, qui fait d’ailleurs ici l’objet d’une séquence centrale, créant une certaine attente de la part des spectateurs néophytes. Pour rappel, Hokusai est une figure majeure du rayonnement culturel du Japon, ayant vécu dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, alors que le Japon est toujours très renfermé sur lui-même, et que les voyages ou le commerce avec l'étranger y sont interdits.

Le film prend le parti de ne pas s’ouvrir sur le personnage éponyme, lequel apparaît quelques scènes plus tard, comme par surprise, puisqu’il est initialement question d’autres artistes. D’emblée apparaît la censure imposée par l’Empire Japonais, ici dans une imprimerie qui publierait des textes et des estampes amorales. Basée sur un code moral encore plus strict que le Code Hays, la censure limite grandement les artistes et les mène à une résistance culturelle qui s’exprime par la conservation d’œuvres, en espérant que des temps plus prospères pour l’art permettront de les dévoiler au public. C’est donc au cœur d’un Japon réprimé, avec ses codes moraux, sa bienséance, son respect des institutions et des places sociales assignées à chaque individu, qu’Hokusai essaie d’exister.

Cependant, contrairement à ce que le titre laisse présager, Hokusai porte davantage sur l’œuvre que sur le créateur. Ce paradoxe laisse la place aux artistes au travail, filmés avec une minutie telle que rien que la mise en place de leurs instruments procure une intense satisfaction. Dans un habile exercice croisé d’hommage noble et de tentative d’expression de la liberté créatrice des sujets en question, Hasimoto mêle références classiques – plans fixes et lents panoramiques avec une caméra parfois très basse (les fameux « plans tatamis » d’Ozu), et une manière de filmer la pluie et la forêt renvoyant directement au cinéma de Kurosawa, notamment Rashomōn –, à des élans de libertés étonnants, en particulier ce plan renversé dans la maison close ou encore l'utilisation du grand angle dans le même lieu quelques scènes auparavant.

L’une de ses meilleures astuces est toutefois de ne pas montrer certaines images pour qu’elles s’expriment uniquement par le pinceau d’Hokusai ; une brillante idée qui crée une frustration chez le spectateur, uniquement soulagée par les coups de pinceaux du maître. Ses gestes sont filmés de près, et la proximité laisse voir jusqu’à là granulosité du papier, tout en laissant comprendre la concentration absolue dans laquelle les artistes se plongent pour obtenir une précision presque parfaite. Cette importance de l’attention devient une source de tension inépuisable face aux divers facteurs de distractions qui apparaissent. Ce peut être des interventions extérieures, comme l’arrivée des domestiques qui dérangent les peintres, ou des perturbations intérieures, dans la bouche même des maîtres, à l’image de l’alcool qu’ils consomment abondamment. C’est là qu’Hokusai se distingue, par sa sobriété ; il est le seul à ne pas boire et, selon un de ses pairs, cela fait de lui une « perle rare ».

Pas seulement à l’écart de ses pairs, Hokusai semble même hors du temps ; bien que vieilli, il a l’air immortel. On doit cela à deux choses. Premièrement les performances des acteurs, autant Yûga Yagira (en 2004, le plus jeune acteur primé à Cannes) qui interprète l’artiste jeune, que Min Tanaka qui l’interprète plus âgé ; la justesse de leur jeu est admirable. Deuxièmement, toute la fin tourne autour du thème de la postérité, car l’entourage du peintre commence à sentir que sa fin est proche et qu’il est amoindri physiquement, ce qui ne l’empêche pourtant pas de peindre – peut-être même encore mieux qu’avant, puisque c’est dans les dernières années de sa vie qu’il a peint ses œuvres les plus fameuses. D’où cette scène finale sublimant l’idée selon laquelle Hokusai, et ceux de sa trempe, dépassent largement leur corps pour emmener leur esprit au-delà de toutes limites physiques. Ou comment le commun des mortels peut devenir, à force de travail et de talent, universel et éternel.


Mathis Slonski

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