Critique du film Hit Man

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Par Super Seven

le 07/09/2023

SuperSeven :

Double Trouble

À Venise, tout n’est qu’affaire de duos. Yorgos Lanthimos & Emma Stone, Nikolaj Arcel & Mads Mikkelsen, et maintenant, Richard Linklater & Glen Powell. Lors de leur rencontre sur le tournage de Fast Food Nation (en 2006!), il était difficile de prévoir la collaboration à suivre avec Everybody Wants Some!!, Apollo 10 ½ et, désormais, Hit Man.

Co-scénarisé par le tandem, cette histoire de mi-professeur de fac/mi-technicien du commissariat devenu faux tueur à gages — vous pouvez reprendre votre souffle — ne réinvente rien. Plus encore, Hit Man est conscient des films passés avant lui et l’exprime à grand renfort de montage d’extraits à l’appui. Pour autant, ce collage, loin d’être vain, donne le ton : Hit Man n’est pas qu’un film, mais une multitude à la fois. D’abord pure comédie, il mue ensuite en film noir, puis drame, romance… Un simple focus vers la conclusion donne la réponse : Hit Man est bel et bien un film noir, nous ne regardions simplement pas du bon œil. Ce n’est pas pour rien cette adaptation de la vie de Gary Johnson — le protagoniste du film —, est seulement romantisée sur les grands moments qui relèvent de ce registre. La barrière des genres craque sans cesse, dès que l’enquête et le jeu prennent trop d’ampleur, pour toujours rafraîchir la formule.

La performance centrale de Glen Powell est la source de toutes ces envolées. Hit Man semble être la logique jonction et évolution de sa carrière, tant Powell puise dans ses précédents rôles — ce qui a sûrement aussi été adapté et anticipé à l’écriture — pour mieux amener la panoplie de partitions qu’il doit retranscrire et (pourquoi pas) échanger en un seul tic de langage corporel. Par exemple, le faux-raté Gary renvoie à la comédie romantique Set It Up, où son large potentiel charmeur ne décolle jamais par un détachement émotionnel. Le charismatique Ron capitalise complètement sur le rôle d’Hangman de Top Gun: Maverick à travers son sens du flirt — quasiment nauséabond et lassant — mais qui marche comme par magie grâce à l’incarnation de Powell. Certaines autres facettes — voire personnalités — de Gary ne sont là que pour le pur gag visuel et/ou d’écriture (certains rappelant les grands moments de Brooklyn Nine-Nine) et renvoient à tour de bras aux performances de Powell dans Everybody Wants Some!! ou encore la série Scream Queens. En regardant de plus près, la convocation de toutes les facettes de jeu de Powell semble n’être qu’une grande private joke, que seuls les yeux attentifs à la carrière de l’acteur, l’acteur-scénariste lui-même et Linklater semblent avoir. De son côté, Adria Arjona peut sembler bien plus cliché qu’il n’y paraît, mais dans un film qui disserte constamment sur les apparences et comment les appréhender, quoi de plus normal ? Sa Madison évolue constamment, jusqu’à tomber dans l’archétype de la femme fatale pour mieux la contourner, voire la réactualiser. La Barbara Stanwyck d’Assurance sur la mort à l’ère Snapchat, finalement.

C’est ce qui ressort d’une scène d’interrogatoire – point culminant de l’édifice métamorphe de Linklater. Un interrogatoire réduit au seul son pour les surveillants, là où les concernés, eux, jouent du visuel. Ainsi, si Ron est le metteur en scène de l’échange, c’est Madison qui impressionne en se prenant au jeu du chargement de personnalité. Ce faisant, Ron — la figure charismatique de Powell — peut aisément se transformer en Gary — sa vraie personne —, pour mieux parvenir à ses fins. Un moment qui se rapproche étrangement du Livre des Solutions de Michel Gondry, quand le (très) contrôleur mais impulsif Pierre Niney conduit un orchestre par les seuls mouvements de son corps.

Pour autant, soudainement, Linklater ajoute une énième strate avec l’irruption du professeur de psychologie à l’université qui vient presque éclairer ce jeu du chat et de la souris, d’apparences, où, finalement, tous les personnages nous trompent. Un aveu d’échec ? Ce n’est pas si simple que ça, tant les concepts freudiens interviennent à plusieurs reprises quant aux comportements des personnages, et sont importants pour mieux comprendre le cœur du film. Jouer un rôle, c’est développer son potentiel et se forcer à être quelqu’un d’autre tout en gardant ce que notre personnalité possède de mieux et de plus appréciable. Morale simpliste, certes, mais pas vaine dans un film si aimable. C’est surtout à l’image de son acteur, que l’on a vu dans beaucoup de genres différents (le pur film nostalgique bourré aux hormones, la comédie romantique, le teen movie…), et qui peut enfin exprimer son plein potentiel pour s’ouvrir, peut-être, les portes d’une grande carrière. À l’image de Matthew McConaughey dans Dazed & Confused, en fait. Linklater générateur de talent ? Peut-être. Hit machine ? Assurément.


Pierre-Alexandre Barillier

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