Par Super Seven
SuperSeven :
"You know what Freud says about the nature of horror? He says it's when the home becomes unhomelike. Unheimlich. And that's what this place has become." Par ces quelques mots, qu'il prête à un personnage de vagabond angelin désabusé à la fin du court-métrage C'est La Vie, Ari Aster propose déjà, en 2016, sa définition de l'horreur. Chez lui, la peur prend sa source dans un environnement familier, sécurisé, qui devient par la force des choses hostile et étrange(r).
Par la force des choses, ou par l'intervention de forces occultes, peu importe. Cette définition peut en fait illustrer à elle seule l'état d'esprit de son premier long-métrage. Avec une facilité insolente, Aster y conjugue les thèmes du deuil, de la déliquescence du cocon familial, de la fatalité et du satanisme, articulant le tout autour de la figure du diorama. Les personnages deviennent de minuscules pions obéissant à des lois qui les dépassent, sans aucune échappatoire possible. À la mort de la matriarche de la famille Graham, l'équilibre du foyer est une première fois bouleversé. Malgré leurs divergences passées, Annie a l'abandon de sa propre mère sur la conscience, et en tentant de dissimuler son mal-être, celui-ci contamine progressivement les siens. La mère de famille a hérité d'un poids que ses séances secrètes de thérapie de groupe ne peuvent alléger. Et il n'est pas question pour elle de le partager. Comme un malheur n'arrive jamais seul, c'est un nouvel événement absolument inattendu qui lance définitivement la machine infernale.
Le jeune réalisateur puise dans son histoire personnelle pour donner naissance au récit de Hérédité. Il s’inspire notamment d'une période de sa vie ponctuée de deuils, où dominait le sentiment d'être victime d'une véritable malédiction. Choix payant, tant les dynamiques entre les personnages sont sincères et le sort de ces derniers nous prend à la gorge.
Pour mettre en images son récit, Aster lorgne du côté des meilleurs. Si la mise en scène, qui fait la part belle aux travellings inquiétants, rappelle le Shining de Kubrick, l'atmosphère puise son essence dans l'étrangeté propre au cinéma de Polanski, allant jusqu'à emprunter ostensiblement au scénario de Rosemary's Baby. Hérédité peut être vu comme une reprise de ce dernier en moins subtil et moins élégant, mais en plus viscéral. Sans atteindre le même degré de maîtrise, il compense par une fougue et une assurance rafraîchissantes.
Aster n'a pas peur de bousculer, mentalement comme visuellement, en multipliant les images grotesques – dans le bon sens du terme. À ce titre, le plan le plus marquant du film est sublimé par un sens parfait du cut. Sans entrer dans les détails, cette courte scène impliquant des hurlements déchirants, une route et des fourmis hante encore longtemps après l’avoir découverte. Le génie du métrage réside en cela : proposer une horreur non-aseptisée, dénuée de second degré, à l'instar d'un Martyrs (2008) de Pascal Laugier pour citer un exemple parlant. Le réalisateur nous prend la tête et nous la plonge toute entière dans une flaque de noirceur et de misère psychologique. Nous ne sommes autorisés à reprendre notre souffle qu'une fois que tout s'est apaisé, dans un final étrangement cathartique où retentit le Reborn de Colin Stetson, après nous avoir assommés d'une bande-son bourdonnante, réellement asphyxiante.
Hérédité n'aurait pas cette force sans une telle distribution, Toni Collette en tête. L'australienne se donne corps et âme dans ce rôle de mère tour à tour endeuillée, éteinte et terrifiante. Sans jamais tomber dans le surjeu, sa performance atteint son point d'orgue lorsque les Graham, à fleur de peau, se décident enfin à communiquer. La souffrance teintée de rage d'Annie explose alors, éclabousse la pellicule et glace le sang.
Assurément un futur classique du cinéma d'épouvante, déjà responsable d'une poignée d'héritiers plus ou moins réussis (The Lodge, Relic...), Hérédité est le film qu'il manquait pour confirmer définitivement le renouveau du genre, après les non moins aboutis Mister Babadook (2014) de Jennifer Kent et The Witch (2015) de Robert Eggers. L'horreur a décidé de se prendre à nouveau au sérieux depuis quelques années et ça fait du bien au cinéma.
Camille Bieszczad