Par Super Seven
SuperSeven :
Hasard du calendrier, Godzilla Minus One sort en même temps en France que la première bande-annonce de Godzilla vs Kong, dernier né à venir du Monster Verse. Mais si les deux films partagent bien un personnage gigantesque, ils n’ont pas grand-chose à voir. D’un côté, une machine hollywoodienne dans la veine des innombrables « univers étendus » pullulant sur nos écrans, de l’autre, une itération nippone centrée sur l’origine du Roi des Monstres, qui s’émancipe de la saga pour construire sa propre identité, entre blockbuster réjouissant et récit intimiste d’après-guerre.
Dès son introduction, Minus One change l’horizon attendu, en ne commençant pas à Tokyo mais sur la petite île d’Odo, aux côtés de Koichi, kamikaze déserteur de la seconde guerre mondiale refusant la mort en feignant une panne sur son avion. Alors que ses camarades ne sont pas à l’aise avec lui, c’est ici que Koichi se retrouve nez à nez face au gigantesque Godzilla. Le schéma structurel classique est modifié : finie la traditionnelle invasion de Tokyo, la destruction du Japon s’annonce plus globale, touchant autant la ruralité que les grandes villes. Ainsi, le récit s’articule en opposant deux lieux, la maison de Koichi, Noriko et Akiko (une femme et un enfant qu’il a recueilli, famille recomposée sur les cendres du pays d’avant-guerre) et son travail sur les mers alentours qu’il démine. Les attaques du monstre ne sont désormais plus terrestres mais maritimes, et l’aisance de celui-ci dans cet environnement, traduit par une caméra mobile, contraste avec la rigidité inflexible des bateaux japonais, chalutiers comme énormes destroyers, renforçant sa force et sa quasi-invulnérabilité. L’espace diffère donc de celui abordé dans le génial Shin Godzilla. Ce dernier se focalisait sur le gouvernement et ses failles, montrant des hommes complètement dépassés par les évènements et enchaînant les erreurs. La mise en scène de Hideaki Anno se basait alors sur des contradictions, à l’image des enchaînements de travellings en sens inverse lors de la première réunion. En remplaçant la terre par les cieux et la mer, l’approche de Takashi Yamazaki se veut davantage placée sous le signe de la voltige. Le sol est un vaste champ de ruines, Tokyo étant en feu et en cendres après avoir été ravagée par un rayon thermique de Godzilla. Pour autant, dans un souci d’iconisation de la créature, celle-ci apparaît avec parcimonie, mettant sur un pied d’égalité la crainte des personnages dans l’attente et la destruction elle-même. Ces derniers sont soumis à un état de sidération précédant la révélation, en contrechamp, de la menace gigantesque, qui n’est pas sans rappeler le Spielberg de La Guerre des Mondes, autre grand film d’invasion de la Terre par une forme de vie démesurée, dont les regards ébahis de Tom Cruise et autres New Yorkais face aux tripodes hantent encore nos rétines. On retrouve même un peu du personnage de Ray Ferrier (Tom Cruise) chez Koichi, tous les deux parents (l’un biologique, l’autre par adoption) dont l’évolution au fil du récit les amène à revoir leur vision de la parentalité et de la famille à travers la catastrophe.
La mobilité de la caméra n’empêche donc pas Minus One de se recentrer toujours sur les hommes plutôt que sur les dirigeants. Derrière Koichi, c’est un groupe qui se forme, d’abord sur le chalutier, pour devenir progressivement une véritable flotte maritime lors de l’assaut final du monstre. La guerre a autant divisé les victimes que les rescapés (Koichi est dévisagé à chaque fois qu’il révèle son passé), mais l’arrivée de Godzilla redonne au Japon un sentiment d’Union. Minus One s’insère en cela dans la continuité de la saga, tout en proposant une nouvelle exploration du traumatisme de la seconde guerre mondiale. Il n’est plus ici question de l’arme atomique – à peine évoque-t-on une possible radioactivité autour du monstre –, mais bien des laissés pour compte que sont les soldats. L’unité qui se rassemble afin d’annihiler Godzilla, bien qu’ayant un leader (lui-même soldat), se construit comme une force auto-gérée, loin des ordres d’un gouvernement dépassé. Là où Shin s’attaquait de l’intérieur à cette institution pour en montrer la médiocrité, Minus One, lui, la relègue au hors champ. Yamazaki développe de fait un certain ressentiment à l’égard des traditions militaires japonaises, notamment autour de l’idée de sacrifice et de l’honneur qui en découlerait. Sa troupe improvisée a pour devise que nul n’est censé périr dans ce combat, dans une logique de compensation des milliers de soldats envoyés à l’abattoir par les dirigeants pour finalement perdre la guerre et laisser un pays en ruines. Il y aurait presque, dans cette détermination absolue, une filiation à établir avec le parcours d’Hirō Onoda (soldat ayant refusé de croire à la fin du conflit, qui est resté trois décennies sur une petite île des Philippines), à travers lequel le film d’Arthur Harari, qui y était consacré, questionnait lui-aussi le jusqu’au-boutisme guerrier japonais. Dans Minus One on crie systématiquement vouloir vivre, quitte à flirter avec la niaiserie, à l’image de l’épilogue interminable et exagéré, sauvé par la seule foi de toute l’équipe en ce qui doit être véhiculé. Un dénouement un peu décevant après un combat haletant, qui refuse d’embrasser une dimension tragique attendue en sombrant dans le happy end le plus tristement occidental qui soit.
Toutefois, cet écart finit d’inscrire Godzilla Minus One dans une certaine lignée de cinéma où le spectaculaire prend la forme d’une fable simple sur l’existence. On pense à Intolérance de D.W. Griffith, avec les surimpressions de sa déchirante conclusion, ou encore au monumental Guerre et Paix de Sergueï Bondartchuk, ressortie il y a quelques semaines au cinéma, dicté par la voix off ininterrompue de Pierre pour terminer dans un élan théâtral sur les affres de la guerre. Sans être à la hauteur de ces deux mastodontes, Minus One rappelle habilement la possibilité d’un cinéma humaniste à grand spectacle, qui a trop fait défaut aux productions occidentales cette dernière décennie. La soustraction du titre a alors quelque chose d’ironique, tant cette énième addition à une franchise déjà bien usée est clairement à saluer.
Nicolas Macé