Critique du film Gagarine

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Par Super Seven

le 12/10/2020

SuperSeven :

En 1963, Youri Gagarine, le cosmonaute russe et premier homme à être allé dans l’espace, inaugure la cité portant son nom à Ivry-sur-Seine. Près de 60 ans plus tard, en décembre 2020, la démolition de cette cité va s’achever.
Avant cette table rase d’un lieu emprunt de souvenirs pour beaucoup, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh décident de rendre hommage à ces bâtiments, à leur histoire et à leurs habitants à travers ce premier film osé.

Le synopsis est pourtant simple : nous sommes plongés au milieu des résidents de la cité Gagarine, qui pour la plupart n’ont pas eu d’autre choix que d’être logés dans ces lieux, mais qui face à la menace de la destruction de leurs habitats vont d’abord tenter, plus ou moins collectivement, de réhabiliter au mieux les infrastructures.
Cette initiative est portée par Youri, jeune orphelin de père, à la mère relativement absente, passionné d’aérospatial et rêvant de suivre les traces de l’astronaute duquel il a hérité son prénom. Les réalisateurs filment donc avec beaucoup de tendresse les constructions et interactions de cette véritable communauté qui se créé au pied des bâtiments. Malgré quelques différends, tous restent très solidaires, dans la vie quotidienne comme dans le soutien du projet de Youri, offrant de vrais moments de vie et nous montrant leur attachement à des lieux qui semblent délaissés, n’ayant rien pour plaire.
Si Youri est la pièce moteur du combat pour préserver Gagarine, il reste néanmoins entouré et soutenu par quelques autres membre de ce microcosme, tressant donc de jolies histoires d’amitié et d’amour à travers ce récit. On remarque, à nouveau, la superbe performance de Lyna Khoudri, jouant la petite amie du jeune homme. Elle qui a reçu cette année le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans « Papicha », confirme un peu plus encore son statut de talent brut en invisibilisant la quasi-totalité de ses partenaires à l’écran, pour le coup hétérogènes.

Cependant la réalité rattrape très vite la fiction, puisque malgré les efforts des jeunes de la cité, toute la population se voit relogée afin d’entamer les travaux pour remodeler la zone dans une vision plus moderne s’intégrant aux plans de reconstruction des banlieues. A cet instant, une magie très intéressante s’opère dans le film, puisque les images de constructions urbaines, froides et plus inanimées que jamais vont venir contraster avec des séquences d’une immense poésie. On découvre alors un Youri seul mais qui poursuit son rêve, nous permettant ainsi d’être à la fois enfermés entre ces quatre murs à ses côtés, mais aussi de s’échapper dans l’infinité de l’espace. On pourrait parfois trouver le déroulement des choses improbable voire peu crédible, mais la passion de Youri et son imagination nous emportent et l’onirisme prend le pas sur la rationalité pour nous livrer des moments très délicats.

Le tout bénéficie d’une esthétique soignée, que ce soit au niveau des cadrages ou de la lumière à l’aspect parfois « clipesque », que l’on peut trouver pertinente quand on sait que la cité Gagarine a notamment vu grandir le duo de frères rappeurs PNL ayant même tourné un de leur clip sur place. Les décors très géométriques sont encore une fois bien mis en valeur avec des alternances de plans larges et de plans plus rapprochés qui montrent l’angle d’un immeuble, d’un toit, etc. comme pour nous rappeler les traits d’un vaisseau spatial. Cette imagerie, se mêlant de temps à autre à des archives, renforce ce parallèle entre le terre-à-terre et l’horizon étoilé.

On s’interroge alors sur la vie dans ces banlieues et l’image que nous en avons. Ses habitants, des personnes précaires et pour beaucoup des immigrés ne sont-elles pas parfois considérés comme des extra-terrestres aux yeux de certains ? Le personnage de Diana déclare que la seule issue possible d’une rencontre entre les hommes et des créatures spatiales serait la guerre, puisqu’il est du propre de l’homme de rentrer en conflit avec quelqu’un qui ne parle pas sa langue. Ce thème de la communication est un sous-propos très symbolique, traité grâce à une quasi-personnification de la cité qui aurait son propre langage, tentant de s’adresser au reste du monde et de montrer que malgré une certaine marginalisation, les résidents sont tout ce qu’il y a de plus humain.
Le message reste présent en fond tout le long de l’œuvre, sans venir l’alourdir puisque celle-ci se concentre avant tout sur les relations humaines et la poursuite d’un rêve. C’est là que le pari des deux réalisateurs est réussi. Il ne s’agit pas d’un film engagé, s’insurgeant contre la destruction des cités, mais plutôt d’un hommage, et d’un message d’espoir pour les jeunes issus de banlieues défavorisées qui aspirent à plus grand, tout en restant profondément attachés à ces lieux de vie où l’entraide est le maître mot.

"Gagarine » est donc une proposition plaisante et qui vaut le détour au cœur du paysage cinématographique français, d’autant plus pour une première réalisation de ce duo mixte. Fanny Liatard et Jérémy Trouilh vont au bout de leurs idées et nous font passer un moment suspendu dans le temps - et l’espace - dans cette capsule direction Gagarine.


Pauline Jannon

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