Critique du film Funny Pages

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Par Super Seven

le 16/06/2023

SuperSeven :


Drôle d’histoire

Présenté à Cannes en 2022 à la Quinzaine des Cinéastes, Funny Pages — premier long métrage d’Owen Kline — n’a malheureusement pas eu droit à son passage dans nos salles. Une absence compensée par une sortie sur la plateforme d’OCS ; l’occasion fait le larron. Cela invite toutefois à s’interroger sur la non distribution d’un tel projet.

En effet, celui-ci a tout pour attiser la curiosité du public cinéphile français, qui ces derniers temps - et même depuis toujours - fait la part belle aux talents émergents du cinéma indépendant américain. Avec les frères Safdie comme producteurs, A24 comme distributeur aux US, et un passif d’acteur chez Noah Baumbach, Kline affiche d’autant plus un pedigree le menant droit aux portes du cercle des "auteurs-US-indy-qui-explosent-avant-de-partir-chez-Netflix".
Peut-être est-ce sa singularité qui a coûté à Funny Pages le graal de la salle obscure ; malgré son enrobage dans l’air du temps, il semble tout droit sorti du début du millénaire, avec un côté régressif qui s’étend sur plusieurs points, mais qui fonctionne étonnamment bien.

Sans donner d’indices temporels précis, Owen Kline embrasse la mode vintage (ou de la nostalgie diront certains), qui gagne autant les rayons des boutiques de vêtements que le grand écran. L’histoire de Robert, jeune aspirant dessinateur fan de bande dessinée, est un prétexte pour sillonner les banlieues de l’Amérique moyenne, et surtout les rayons des comic stores, décor phare de cet écrin nostalgique et cousin lointain de la boutique de VHS de Soyez sympa rembobinez de Michel Gondry, refuge du protagoniste qui préfère affuter son stylo et élargir son expertise plutôt que de suivre un parcours académique. L’ambiance rétro est poussée jusqu’à l’utilisation de la pellicule — elle aussi revenant à la mode —, offrant à l’image un grain qui renvoie parfaitement à l’image de vieille revues ; saluons ici l’oeuvre du directeur de la photographie, Sean Price Williams, collaborateur régulier des frères Safdie et réalisateur de The Sweet East dont nous avons récemment écrit les louanges. La clé de l’anachronisme de Funny Pages est toutefois son humour. Les bandes dessinées que Robert (Daniel Zolghadri, brillant de naturel) admire ont un penchant sexuel moins mis en avant aujourd'hui, et Kline s’attache à une dynamique de gags typique du médium ; « ça s’appelle pas comics pour rien », comme le dit Robert.

Son côté perdu entre les portes du lycée et celles du monde adulte est par ailleurs très touchant, et renvoie à la sempiternelle opposition entre la pression parentale pour faire des études afin d’avoir une belle situation et l’envie de tout envoyer balader pour se consacrer à ce qui nous passionne … En cela Robert s’inscrit dans la lignée des jeunes héros marginaux du cinéma de Richard Linklater — on pense évidemment à ceux de Génération Rebelle ou Everybody Wants Some !! —, animés par le conflit entre une volonté d’indépendance, de liberté et une nécessité de rentrer dans le moule social. Robert parvient cependant à se montrer plus responsable qu’il ne le laissait deviner, et jongle entre les deux en trouvant un petit boulot qui lui permet de vivre tout en continuant d’améliorer ses dessins. Brisant ainsi la dynamique linklaterienne, il crée une trajectoire autre, plus personnelle, loin du rythme planant des histoires de jeunes égarés. Funny Pages porte alors bien son nom faisant de chaque nouvelle péripétie inattendue, une nouvelle page de l’histoire de Robert, marquée de rencontres improbables à un tempo très soutenu. La tension qui en découle insuffle même les situations les plus banales et renvoie directement à celle qu'Emma Seligman — autre jeune réalisatrice de talent qui n’a pas eu droit à une sortie salle en France — développait dans Shiva Baby.

La galerie de personnages tous plus excentriques les uns que les autres — du meilleur ami neurasthénique à l’ancien coloriste de génie complètement psychotique — ajoute de nouveaux éléments pour alimenter la cadence du récit et sa folie ambiante. Toutefois, cette allure doublée à un temps relativement court donc (moins d’1h30) donne parfois l’impression d’être face à un pilote de série accrocheur : c’est plaisant, mais on en veut plus… Peut-être est-ce là la raison de son manque d’attractivité pour les distributeurs : malgré de belles idées de cinéma, Funny Pages semble plus adapté à une déclinaison télévisuelle.


Pauline Jannon

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