Par Super Seven
SuperSeven :
Perte, drogue & rock n’ roll
La perte d’un enfant est un sujet abordé déjà maintes fois au cinéma (La chambre du fils, Tree of Life, Madre…), mais rarement de manière aussi punk que dans Fotogenico. Le film de Marcia Romano et Benoît Sabatier démarre sur les chapeaux de roue en suivant la folle aventure de Raoul (Christophe Paou) qui écume Marseille pour trouver la moindre trace qui le reliera à Agnès, sa fille décédée un an plus tôt. Il s’aperçoit rapidement qu’elle était loin d’être celle qu’il croyait, et de mésaventures en désillusions se retrouve bien vite en slip dans les situations les plus improbables, créant stupéfaction et hilarité.
Il faut dire que si Raoul en sait peu sur sa fille, le spectateur en sait peu sur lui. Le montage frénétique fait office de plongée dans ses préoccupations présentes (et la plupart du temps hors sol), en enchaînant les séquences, les nouveaux décors et les nouveaux personnages (on passe d’un bureau morne où Raoul pense trouver d’anciens collègues d’Agnès à une boutique de vinyle tenue par une de ses amies, puis à un appartement exigu où vivent une autre connaissance et un jeune homme dont le travail est de garder un trou la nuit…) pour moins nous laisser le temps de nous questionner sur l’histoire de ce père en deuil. Seuls quelques flashbacks sont habilement insérés sous forme de roman photo lorsque Raoul raconte ses péripéties, rythmant d’autant plus ce trip rocambolesque ; ces clichés en rafale évoquent sa mémoire ravagée par l’alcool sans pour autant s’épancher en explications.
Ce peu de contextualisation ouvre des possibilités infinies qui prennent la forme de différentes intrigues : il y a le musicien/dealer qui se rêve romancier et la jeune fille qui est sous son emprise, l’ancien groupe de musique d’Agnès que Raoul rêve de reformer, alors que chacune a suivi un chemin différent. Le dénominateur commun demeure l’absence d’Agnès dont l’image plane toujours comme un fantôme dans chacun des lieux visités par Raoul. En voulant mener l’enquête et recoller les pièces du puzzle, le père commence à se confondre avec le souvenir de sa fille et adopter des comportements en décalage total avec ce que l’on pourrait attendre d’un travail thérapeutique de reconstruction. Il se drogue, erre la nuit, prend des risques et tente même de se suicider dans la position exacte où l’on a trouvé Agnès. Cette assimilation d’un être disparu par un autre qui l’a finalement peu connu est transcendé par le jeu caméléon de Christophe Paou. S'amusant de son corps tel un acteur burlesque autant lors de scènes du quotidien (des courses au supermarché du coin) que lors de moments d’émotions fortes (une confrontation au dealer local), il parvient à garder dans son regard le poids du tragique porté par son personnage. Chaque parole qui sort de sa bouche est une surprise pour son interlocuteur comme pour nous (il peut passer de l’obséquiosité à la menace, du cri au chant, ce sans crier gare), mais ce loser-magnifique garde une dimension “à fleur de peau” constante qui nous pousse à vouloir trouver les réponses qu’il cherche afin d’enfin le voir apaisé.
Toutes ces émotions qui traversent Fotogenico sont aussi permises par l’harmonie globale qui unit le film entre la musique entêtante de la bande originale électro-rock signée Froid Dub, le montage effréné et la colorimétrie ultra saturée proche du cartoon qui rend l’expérience d’autant plus immersive. En témoigne une séquence de consommation de drogues entre Raoul, le dealer et la jeune fille qui vit avec lui, où la cadence s’accélère au point de friser l’épilepsie et fait se confondre ce qui est de l’ordre du délire sous acide, du fantasme ou du cauchemar, convoquant ainsi le Nouvel Hollywood d’Easy Rider.
Toutefois, même si les décors et costumes sont travaillés de sorte à épouser l’ambiance visuelle du film, l’environnement marseillais peine à exister réellement. Romano et Sabatier tiennent à cet ancrage, c’est indéniable – on a du mal à imaginer l’histoire se dérouler ailleurs – mais la dimension post-punk, avec un style très graphique et factice des intérieurs recréés, prend le dessus sur le reste. Avec tout ce que les cinéastes s’autorisent pour créer du contre-rythme (cut brutaux, intégrations de photos qui contrastent avec de longues séquences d’écoute de musique…), on souhaite presque les pousser à aller plus loin dans leur folie, à oser nous perdre dans la narration pour créer un sentiment d’autant plus organique. Une grâce qui rejaillit tout de même à plus d’un titre (citons seulement la scène de concert avec le groupe que Raoul arrive enfin à recréer où le temps s’étire comme si un seul morceau durait toute une nuit) et fait prendre conscience de la préciosité de ce geste rebelle que l’on espère retrouver plus fort encore la prochaine fois.
Pauline Jannon