Critique du film L'enfer des armes

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Par Super Seven

le 08/02/2024

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L’un des plus beaux cadeaux que le cinéma offre, et ce depuis toujours, est sa capacité à se réinventer, notamment quand on ne s’y attend pas. Alors que les années 80 constituent une décennie bien pauvre pour l’occident, à l’est de là, un nouveau pôle est en plein essor : Hong Kong. Un territoire unique, autant dans sa gestion administrative que dans sa production cinématographique, qui connaît un bouleversement à la fin des années 70. L’époque est marquée par une standardisation de la production, avec la Shaw Brothers qui incarne l’esprit « studio » dont les réalisateurs souhaitent s’émanciper. Un sentiment de révolte gronde à l’intérieur du système, qui s’ajoute à celle de la rue avec les émeutes de 1967 en moment capital pour de nombreux étudiants, dont les futurs cinéastes de ce que l’on ne tarde pas à appeler la Nouvelle Vague Hongkongaise. Les prémisses sont là, il ne reste plus qu’à allumer le feu. Une étincelle arrive alors, son nom : Tsui Hark.

Souvent considéré comme le « Steven Spielberg Chinois », notamment par la révolution qu’il a opéré dans le domaine des effets spéciaux dans son pays, Tsui Hark est un cinéaste bien plus corrosif que son homologue américain. Candeur et naïveté sont ici remplacées par une fureur unique. Dès son premier film, The Butterfly Murders (1979), il dynamite la production cinématographique avec une relecture du Wu Xia Pian – le film de sabre chinois –, en le mélangeant à une forme d’horreur plus graphique et violente qu’à l’accoutumée. Une veine qu’il poursuit avec la comédie horrifique Histoires de Cannibales qui, comme sa première tentative, ne trouve pas de public. De ces échecs naissent une colère mais surtout une frustration, dont il se sert pour aller encore plus loin dans sa démarche avec L’Enfer des Armes, dernier volet – et le plus radical – de sa « trilogie du Chaos ». Ici, un fait divers survenu quelques années auparavant, autour d’étudiants poseurs de bombes sans motifs, devient un maelström de pur désordre, concentré en une petite centaine de minutes. Narration confuse, mise en scène anarchique, montage ultra découpé, l’accrochage est difficile. Autour des quatre jeunes qu’il suit, une fille (Wan-Shu) et trois garçons, qu’un homicide involontaire va lier, gravite tout un réseau d’intrigues diverses et variées, notamment celle d’une contrebande d’armes que la police traque. Chaque récit croise les autres par la force des choses, sans que l’on ne sache comment ou pourquoi – et au fond peu importe –, mais de ce gigantesque foutoir (dans le meilleur sens du terme) émerge quelque chose d’absolument stupéfiant. Un plan suffit à tout résumer : une télé diffusant un épisode de Titi et Grosminet. L’Enfer des Armes est en réalité un cartoon de chair et de sang, à la vitesse aussi épuisante que jouissive mais où le petit oiseau est remplacé par de gros calibres. À l’instar des dessins animés étasuniens, la violence de L’Enfer des Armes n’est jamais cachée, elle est même le premier moteur de la scène, quitte, ici à être des plus graphiques. Dans un élan de vengeance pour Titi peut-être, Wan-Chu lance un gros minet, dont la chute est rendue interminable par un enchaînement de raccords dans l’axe avant un atterrissage cruel et saisissant sur un hachoir. Aux cris de douleur, pendant des secondes qui paraissent des heures, succède un silence de cathédrale. Plus un son, seule la mort a vaincu le chaos. C’est dans cette capacité à prolonger l’action, jusqu’à un supplice extrême, tant pour la victime que son spectateur, que l’instinct sadique de Tsui Hark se dévoile. Tout n’est que rupture et subversion des attentes ; un simple geste est démultiplié par le montage tandis que la présumée enquête sur les contrebandiers, elle, est une affaire d’ellipses.

Ruptures de tons également, qui participent à l’imprévisibilité du récit. Au milieu des policiers, bombes et animaux brutalisés peut surgir un élan comique, comme quand Wan Shu se retrouve seule dans un bus, menaçant de le faire sauter si les passagers ne le quittent pas en se déshabillant. Étrange moment mais qui, comme souvent chez le cinéaste, dessine habilement les contours d’un personnage en prenant des chemins de traverse. Cette jeune femme à la violence démesurée (adepte de bombes mais aussi d’une cruauté sans nom envers les animaux) est le reflet d’une jeunesse hong-kongaise laissée à l’écart, désireuse d’exister quoiqu’il en coûte. Un cri de désespoir qui résonne on ne peut plus fort lors d’un bain de sang mémorable, où un personnage ramasse une arme à feu pour tirer aléatoirement, sans aucune raison. Au rythme des balles se superposent des images du Hong Kong d’alors : sale, violent et prêt à exploser. L’Enfer des Armes n’est pas un simple brûlot politique mais son manifeste anarchique, un appel à la révolte.


Nicolas Macé

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