Critique du film Elmer Gantry

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Par Super Seven

le 08/04/2021

SuperSeven :


Le fanatisme, quelle que soit sa direction mais en particulier religieux, est un sujet aussi vaste qu’exploité. Support cinématographique sans limite permettant une mise en scène de points de vue extrémistes, bien souvent apparentés à de la folie, il est aussi au cœur d’"Elmer Gantry", film de Richard Brooks sorti en 1960.

Elmer Gantry c’est avant tout le nom d’un homme, petit larcin et vendeur éloquent. Un homme qui a compris qu’à travers ce fanatisme et son don pour embobiner, il peut gagner argent et notoriété. Grand connaisseur de la bible et pêcheur repenti, il met dans sa poche tant la soeur Falconer – qui le précède dans ce rôle de guide des foules – que tout un public crédule. Gantry est interprété par un Burt Lancaster qui semble possédé. Ses grands yeux bleus écarquillés et son faux sourire permanent d’où s’échappe un rire démoniaque collent parfaitement avec cette image de gourou prétendant transmettre la parole divine lors de séances de conversion plus pensées et mises en scène qu’une émission télé. Cette performance n’est guère subtile, mais elle reste justement dosée et pertinente avec ce personnage de barnum.
Face à lui, la douce Jean Simmons est elle aussi très convaincante dans ce rôle de croyante adulée, un peu dépassée par ses nouvelles responsabilités. Elle a conscience des machineries derrière ses « spectacles », qu’elles soient financières ou politiques, et semble à bout de force face à ce rôle de vedette que le public lui octroie. Ses valeurs sont mises à l’épreuve et confrontées à son ambition et sa passion naissante pour Elmer, nous démontrant ainsi les limites individuelles du sacrifice de sa vie pour la collectivité.

A travers ces deux personnages complémentaires, Brooks brosse le portrait d’une Amérique crédule et influençable. L’action se déroule dans un contexte de prohibition, période où les mœurs des américains étaient particulièrement passées à la loupe et qui aura profité au mouvement du Réveil Chrétien, visant à provoquer des réveils spirituels chez un maximum de personnes de confession chrétienne à la foi timide. On voit donc un peuple à la recherche de repentance et d’un guide à travers celle-ci, et une Eglise qui en profite pour étendre son pouvoir.
Cependant, là où Elmer Gantry est particulièrement réussi, c’est qu’il ne tombe pas dans un jugement moraliste de ce peuple, ni même de Gantry et de ses discours endiablés. Si l’on devine qu’il profite de la situation, on distingue également un homme réellement passionné par la bible et ses enseignements. On sent aussi son admiration sincère pour soeur Falconer, et, comme ses motivations profondes restent assez floues le long du récit, on finit par douter du fait qu’il n’agisse que dans son intérêt personnel.
En France, le sobre titre américain reprenant seulement le nom de notre protagoniste a été modifié pour donner « Elmer Gantry, le charlatan ». Cette particule rajoutée semble finalement peu pertinente, car elle pose d’emblée une étiquette et un jugement sur ce personnage plus nuancé en réalité. Ici, les points de vues extrémistes évoqués précédemment sont savamment mélangés pour offrir un juste milieu, laissant place tant à la compassion qu’à la critique. Ces nuances sont d’ailleurs portées par le personnage du journaliste, particulièrement bien écrit. Celui-ci est un non croyant convaincu, qui prêche à travers ses écrit l’exact inverse des évangélistes. C’est pourtant sans les juger qu’il les accompagne, et c’est avec un œil de sociologue, et même une certaine fascination qu’il les étudie.

Ce regard c’est celui de Brooks, à la fois lucide sur ces spectacles de foire et subjugué par ce qu’ils montrent. C’est toute cette ambiguïté qu’il retranscrit parfaitement dans sa mise en scène qui laisse place au doute et montre l’ambivalence des personnages. Des contrastes entre une lumière quasi divine et des ombres d’un noir profond habillent leurs visages, jusqu’à cette terrible scène finale où les flammes viennent lécher l’écran. Les couleurs sont chatoyantes et mettent parfaitement en relief ces personnages qui ne sont jamais ni tout noir ni tout blanc, ou bien sont peut-être les deux à la fois.


On peut reprocher à l’œuvre une petite longueur qui se fait sentir durant la partie où Elmer et la soeur Falconer sont victimes de chantage, dont l’intérêt relativement secondaire ne va que peu retenir notre attention et donner un petit coup de mou au développement de nos personnages jusque là si dynamique. Cependant le récit sait vite rebondir en se recentrant sur ce couple par qui nous aussi – à l’instar du journaliste et de Brooks – sommes envoûtés, et cette passade oubliable nous guide vers un final de nouveau grandiose, imposant Elmer Gantry comme un film ayant trouvé la juste dose de chaque ingrédient pour un savoureux résultat.



Pauline Jannon

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