Critique du film Everything Everywhere All at Once

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Par Super Seven

le 02/09/2022

SuperSeven :


UNE INFINITÉ D'INTIMITÉ

Sorti fin mars aux États-Unis, Everything Everywhere All At Once devient très rapidement l’un des plus gros succès critiques d’A24, mais surtout le plus gros succès commercial de l’histoire de la boîte indépendante, tant sur le sol américain que mondialement. Comme avec beaucoup de films de la compagnie se pose la question d’une sortie française. De leurs dernières sorties, peu nous sont parvenues, et encore moins dans nos salles, faute à des demandes financières astronomiques de la part du studio pour lâcher les droits.

C’est là qu’intervient Originals Factory, jeune société qui s’intéresse principalement aux sorties digitales, VOD ou SVOD (on peut prendre pour exemple Music, le film de Sia, qu’ils ont directement sorti sur OCS). Le distributeur – qui collabore avec Pathé Live pour l’occasion – a gagné les droits d’Everything Everywhere All At Once en montrant un réel intérêt et l’envie de réaliser une belle sortie salles, A24 décidant alors de leur accorder l’exclusivité française face à des géants de la distribution comme Sony et Universal.

Et on peut dire qu’ils n’ont pas menti. Si la France est le seul pays, en dehors des États-Unis, à bénéficier de séances IMAX, elle reste l’unique territoire où le film existe en 4DX ; Originals s’est d’ailleurs payé le luxe de collaborer avec les auteurs, les bien-nommés « Daniels », pour que leur bébé puisse jouir de cette nouvelle technologie. Avec cette belle sortie très réfléchie, l’attente du cinéma pour les Français a donc été fortement récompensée ! Mais, trêve de bla-bla, que vaut le film ?

Everything Everywhere All At Once est un projet qui ne surprend pas tant dans sa forme, les Daniels nous ayant déjà habitué à leur folie, avec l’inqualifiable Swiss Army Man, déjà produit par A24. La générosité de leur mise en scène ne faiblit pas pour autant, avec des idées qui foumillent à chaque plan. Si les moins cinéphiles peuvent très vite être fatigués par cette abondance visuelle et des changements de ton incessants, les aficionados, eux, peuvent être émerveillés par différentes séquences convoquant cinéma, imaginaire et parfois même l’enfance. Les films méta sont certes devenus légion dans cette industrie, mais force est de constater qu’il y a ici une véritable sincérité dans le geste, rendant cette dimension agréable tout en marquant un respect certain pour les cinéastes cités.

Bien sûr, le concept de multivers permet d’aborder le(s) cinéma(s). Par exemple, celui de Wong Kar-wai, dans ce qui s’avère être l’une des meilleures séquences du film, mais les Daniels n’ont pas froid aux yeux et se confrontent aussi à celui de Stanley Kubrick, à l’animation, aux films d’arts martiaux ou encore aux films « indépendants ». Un sacré bordel donc, mais qui étonne par sa fluidité et sa tendresse ; derrière l’emballage de bonbon sucré creux, se cache en réalité une réflexion poussée distillée à chaque séquence.

En prenant le cinéma d’art martial en inspiration principale, les Daniels ont directement voulu rendre hommage à ce genre à travers le casting. Bien que d’abord écrit dans une dynamique inversée, avec Jackie Chan en tête, une fois EEAAO repensé avec Evelyn dans le rôle principal, l’évidence était Michelle Yeoh. C’est un véritable cadeau des Daniels à l’actrice, qui peut enfin prouver qu’elle n’est pas qu’une actrice d’art martial ou bien une actrice d’émotions et de comédie : elle est tout (partout) à la fois.

Elle est toutefois merveilleusement accompagnée. Jamie Lee Curtis & Stephanie Hsu sont de superbes antagonistes, pleines d’ambiguïté et de facettes de jeu, tandis que Ke Huy Quan est l’un des piliers du film, tant beaucoup de séquences plus intimes ne marcheraient pas sans lui. James Hong, lui, est parfait dans le rôle du père froid et autoritaire.

Cela dit, malgré une frénésie, voire folie, indéniable, celle-ci demeure trop sage, la liberté des auteurs semblant finalement assez limitée. Je pense, entre autres, au floutage de la nudité, qui sert de gag, ou à d'autres excès paraissant freinés qui font se questionner sur les barrières éventuelles rencontrées lors de réalisation. Une fausse liberté, certes décevante – voire sarcastique dans un projet vendu comme "ultra" subversif et libre de toute contrainte –, mais qui a le mérite d’opérer un rattachement au sujet réel du film : l’importance de l'ordinaire.

Car ce qui frappe réellement, au travers de cette forme très spectaculaire et pulp pour conter cette histoire, c’est l’intérêt profond des Daniels pour l’intime de ce(s) monde(s) ; le multivers permettant à cet ensemble de comprendre ses relations familiales et de questionner notre place dans le monde. L’Evelyn principale du film est la plus importante, et celle capable de vaincre le mal qui menace son monde, seulement car elle est considérée comme la plus ratée de l’infinité d’Evelyn existant dans cet univers cinématographique. Les Daniels prennent donc le parti pris de combattre le nihilisme de l’antagoniste, et le foutoir de la vie de leur protagoniste, en donnant la clé la plus importante de l’humanité : l’espoir.

Les différentes vies qu’Evelyn “traverse” et visite lui permettent d’acquérir leurs capacités : exceptionnelle maître kung-fu, chanteuse de talent, chef teriyaki... mais cette infinité d’existences différentes et de personnages distincts lui permet de conclure son arc narratif personnel : elle n’a peut-être pas tous les talents qu’elle a pu entrevoir dans son aventure, mais elle a quelque chose de plus important à ses yeux : sa famille. L’idée est alors d’apprendre à se satisfaire de ce que l’on a, de réparer des relations négligées par le passé, pour vivre pleinement son présent, sans regrets. Cette “morale” n’est jamais mieux exprimée que dans le “segment” d’inspiration Wong Kar-wai, où Evelyn n’a jamais suivi son mari et que les deux ont eu une grande réussite personnelle. Waymond, qu’elle recroise lors de l’avant-première du dernier film d’Evelyn (de cet univers), lui dit alors : “dans une autre vie, j’aurais adoré tenir une laverie avec toi”.

Ainsi, être la version la plus ratée de soi-même n’est pas une fatalité, et le nombre infini de vies que nous aurions pu avoir en changeant ne serait-ce que la plus petite chose de notre destin ne changera jamais. Seul compte, en cas de rêve d’autre chose, d’effectuer le changement soi-même, d’avoir l’impulsion pour devenir la meilleure version que l’on puisse être. Quitter le rêve pour accepter notre réalité et la vivre tel que nous le voulons, telle est la finalité d’Everything Everywhere All At Once. Pourquoi être tout, partout, à la fois quand l’on peut être soi-même ?


Pierre-Alexandre Barillier

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