Critique du film Duel à Monte-Carlo del Norte

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Par Super Seven

le 09/11/2025


Le retour de Bill Plympton aux affaires, neuf ans après La Vengeresse (et Hitler’s folly, inédit en France mais disponible sur la chaîne Youtube du cinéaste) a de quoi déconcerter. Toujours dans le sillon du cinéma d’animation cher au cinéaste et outre l'étonnante hybridation des genres à travers le western musical, Duel à Monte-Carlo del Norte joue la carte de la mélancolie plutôt que de la folie chère à l'auteur de L'impitoyable lune de miel (1997) dans un dessin aux teintes sépia qui renvoient à la gravure, loin des explosions pop habituelles malgré les traits excessifs et gribouillages qu'on lui connaît. Celles-ci ne sont pas si loin et ressurgissent lors de certaines envolées chantées, moments au surréalisme charmant, mais l'univers Plympton a changé de ton. Il faut revenir à son titre original, Slide, qui évoque tant l'anti-héros à la Eastwood (le flegmatique homme sans nom de Leone) que son instrument de musique avec lequel il ne fait qu'un ; il n'y a qu'à voir la vitesse avec laquelle il le reconstruit après destruction. Cette guitare glissante à l'image du cowboy qui arrive au village de Sourdough Creek en patinant sur des castors à travers le fleuve défie l'ambiance de débauche souhaitée par le maire Jeb Carver qui refuse la musique lente au point de menacer de mort ceux qui la pratiquent tout en encourageant la prostitution. Il faut ainsi voir le film de Plympton comme une grande réflexion de l'artiste sur son propre art à travers ces visages qu'il a tant caricaturé au point de faire ici une galerie infinie de faces déformées et méchantes à laquelle s'opposent celles de Slide, mystérieuse, et des deux femmes qui rythment le récit, Delilah (prostituée contre son gré) et Rosalita (pêcheuse résistante), plutôt raffinées et fatales sans tomber dans la sexualisation outrancière. Également une étude de cette sexualité justement, jadis essentielle et délirante (cf les ébats exubérants de L'impitoyable lune de miel et des Mutants de l'espace) mais avec laquelle Plympton prend un certain recul pour questionner la marchandisation du corps féminin ; des moteurs pour faire s'agiter les poitrines des prostituées sont détournés de leur fonction lubrique par le burlesque en permettant de remonter le courant d'un fleuve déchaîné. Enfin, un regard sur le rapport du cinéma à ce qu'il génère en tant qu'éco(nomique)-système qui agit sur un autre éco(logique)-système, avec le projet de station balnéaire et de destruction des bois initié à cause d'un tournage à venir dans la région.

D'où cette dilatation intempestive du temps, ce refus de la linéarité par les incursions musicales, les séquences étirées et un amour de la répétition. Comme si l'enjeu, pour un film où la quête du progrès est prégnante, était de jouer avec la notion de running gag pour en trouver le point de rupture. Cela se ressent d'une part avec le trajet de l'équipe hollywoodienne qui interrompt incessamment les péripéties du far west avec les minauderies de la starlette effrayée par les insectes et son partenaire de jeu moins ventri- que véritable loque idiote. D'autre part, Plympton s'en donne à coeur joie sur les séquences d'action échevelées : il pleut des rondins comme des balles dans un ballet à la fluidité étourdissante – rien ne se perd en chemin, tout se transforme –, et l'on recommence jusqu'à l'épuisement des figures animées, lassées par leur incapacité à détruire pour notre plus grand amusement. Ce faux rythme permanent, allié aux coups de crayon tumultueux qui plongent le film dans le brouillard (allié de Slide qui s'en sert pour aller et venir), sont la clé de voûte de cet anti-film de studio, prônant la beauté de la nature au gré d'arbres démesurés, d'une eau qui vainc les barrages et d'un insecte géant – le craint Hellbug, en réalité doux comme un agneau – qui veille sur l'équilibre des lieux tel un esprit enfoui. À peu de choses près, on croirait assister à un spin-off animé de Twin Peaks tant la spiritualité prend le dessus sur le matériel (l'intuition de Slide de suivre les bruits environnants vaut mieux que les bas instincts des mâles qui se prélassent au Lucky Buck sur de la country délurée) dans ce village forestier atemporel coincé entre deux montagnes.

On en vient à se demander ce que l'on regarde si ce n'est la démonstration de créativité lucide d'un artiste qui a pris le temps d'observer l'évolution de son art (The Tune, son premier long date de 1992) et de ce qui l'entoure (le village fictif est inspiré de son Oregon natal). À la fois frénétique et doucement hypnotique – les mélodies jouées par Slide (composées en partie par Maureen McElheron, collaboratrice de Plympton depuis ses débuts) apaisent les coeurs de tous les habitants de Sourdough Creek –, Duel à Monte-Carlo del Norte trace une route parallèle dans le cinéma d'animation contemporain. La bouillonnement d'idées donne parfois l'impression de voir un film en constante réinvention, sorte de work-in-progress exaltant dont le résultat changerait à chaque vision pour déceler de nouveaux détails comme son personnage insaisissable et mystérieux est l'avatar d'un cinéaste à la voix dont on a pas fini d'attendre la nouvelle expression, qu'elle soit chantée ou non.


Elie Bartin

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