Critique du film Dans les angles morts

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Par Super Seven

le 19/05/2021

SuperSeven :


Dès la lecture du synopsis de Dans Les Angles Morts, un schéma scénaristique suranné se dégage. Le déménagement dans une maison hantée est une base solide pour un film d’horreur grand public, mais complètement friable à une époque où l’épouvante au cinéma ne cesse de se renouveler. L’audience friande d’effroi a évolué avec le temps et même les recettes les plus ambitieuses qui surnagent aujourd’hui, comme celles de James Wan (Saw, Conjuring, Insidious), ont su transcender ces structures classiques par une mise en scène efficace et des scénarii aux multiples rebondissements. Ce phénomène n’est pas nouveau, les années 70’, ayant donné naissance aux piliers du cinéma d’horreur contemporain, avaient déjà cédé au courant des Slashers la décennie suivante pour attirer plus de visiteurs. Inversement, ces dix dernières années ont tenté de rattraper les critiques qui fuyaient doucement le genre fast-food horrifique qui pullulait en 2000. Les années 2010 ont vu le genre évoluer avec des productions qui ont cherché à satisfaire un public de niche grandissant, en usant de procédés originaux pour faire naître la peur chez le spectateur qui préfère le traumatisme sur le long terme que le simple sursaut. Certaines sociétés, A24 pour ne citer qu’elle, en ont fait leur crédo avec pour vocation d’envoyer paitre les modèles où les salles de cinémas se transformaient en manèges de cris et de sensations. C’est dans la même veine que s’inscrit le nouveau-né de Netflix qui tend de plus en plus vers le genre indie d’horreur tout en tentant étrangement d’englober un large public.

Peut-on alors imaginer qu’un film puisse épouser les procédés du cinéma indépendant tout en convainquant la masse en optant pour des schémas traditionnels ?

C’est bien là tout le dilemme que s’est imposé le duo de réalisateurs Shari Springer Berman et Robert Pulcini avec Dans Les Angles Morts, adaptation du roman d’Elizabeth Brundage All Things Cease to Appear.

La première partie étonne par sa capacité à aborder, en moins de trente minutes, une foule de thèmes divers avec clarté ; des débats sur l’au-delà, une mystérieuse maladie gastrique, le déménagement et bien sûr le sujet majeur de l’oeuvre, le couple. Les cinéastes offrent aussi à maintes reprises de nombreux clins d’oeil au cinéma et à la littérature horrifique. On retrouve, entre autres, une ambiance musicale à la Tim Burton, des angles de caméras et effets qui rappellent ceux d’Ari Aster, un enfant qui fait écho au personnage de Danny dans Shining (Stanley Kubrick, 1980). Impossible de ne pas évoquer également les nombreuses références à l’univers d’H.P. Lovecraft, qu’elles soient indirectes lorsque illustrées par les peintures de George Inness comme directes dans son exposition de la descente aux enfers de ses personnages.

Ceux-ci sont d’ailleurs rapidement accueillis par des faits étranges, le scénario ne s’attardant pas sur la demeure pour faire comprendre qu’elle est hantée. C’est là qu’intervient la première ficelle du fast food horrifique, avant d’être suivie par cette agaçante manie qu’on les protagonistes de minimiser un acte surréaliste. Catherine y voit clair quand son mari s’entête à répéter « stop with the ghost things ». La trame assume son classicisme.

La tension grimpe d’un cran quand les indices de l’isolation que subit le personnage d’Amanda Seyfried se cumulent. Elle se retrouve seule avec ses constatations, son emploi d’artiste au foyer et les absences de son mari égocentrique. La trame se charge également de greffer à son script quelques messages sur la place de la femme dans la société. Malheureusement, ces derniers manquent de subtilité, plaçant de grosses symboliques à tout va: l’homme est constamment soumis à des tentations auxquelles il cède là où Catherine sert de modèle en ne s’égarant pas dans sa quête. Elle collectionne les belles rencontres (Eddie Vayle (Alex Neustaadter) figure de la libération) quand il empile les relations toxiques (Willis Howell (Natalia Dyer) icône du jugement).

L’oeuvre regorge d’ailleurs de personnages secondaires sans arriver à les utiliser à bon escient. Tous remplissent un rôle particulier pour faire avancer le scénario sans avoir droit à un approfondissement personnel. Si l’enfant n’est qu’un instrument de frayeur utilisé avant tout pour inquiéter le spectateur, on peut citer également Floyd DeBeers (F. Murray Abraham) qui sert de « soutien philosophique » au film, permettant aux réalisateurs de rappeler au public que Dans Les Angles Morts est plus profond qu’en apparence. Si les débats soulevés restent pertinents, ils n’en sont pas moins survolés, histoire de remplir le quota de vulgarisation, sans s’en servir pour aller… au-delà.

La tension ne descend jamais et se renouvelle bien, mais le propos s’offre un tournant à la moitié du film, l’épouvante cédant sa place au drame. Nos premières intuitions s’avèrent toutes correctes, hormis un choc durant son final plutôt culotté et les personnages se contentent de remplir tour à tour leurs rôles sans surprise. L’oeuvre opte ainsi pour un double schéma. D’abord, celui du fast food en respectant tous les points d’un film d’horreur traditionnel sans oublier d’être affreusement prévisible. Dans un second temps, celui du cinéma indépendant, ici utilisé pour habiller une mise en scène plus humble qui s’accompagne d’une pointe d’originalité soudaine, avec des mouvements de caméras déstabilisants qui font le charme du genre.

Malgré ce constat quelque peu décevant si l’on creuse trop profondément dans la trame, son enveloppe n’en reste pas moins qualitative. C’est avec une certaine amertume que le mélange se savoure. Le suspense est maintenu, le divertissement assuré, avec un casting de haute volée et une trame qui ne demande qu’à être consommée.

Reste à savoir si vous êtes prêts à passer deux heures devant une vitrine alléchante qui cache un manque cruel d’articles une fois passé la porte.


Léo Augusto Jim Luterbacher

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