Critique du film Daaaaaali !

logo superseven

Par Super Seven

le 13/03/2024

SuperSeven :

C'est dans une scène à rallonge "à la Dupieux" que s'ouvre Daaaaaali !. Salvador marche à l'infini dans un couloir pour donner une interview, attendu patiemment par Anaïs Demoustier et Agnès Hurster. Si la marche est proprement dupieusienne, lui qui aime ces formes courtes qui semblent se déplier à l'infini, la figure immobile de Demoustier est bien le cœur du film. Daaaaaali est de ces films qui rendent honneur au regard, en imposant une distance sur le surréalisme que Quentin Dupieux ne veut pas tout à fait embrasser.

À chaque extravagance du peintre espagnol s’oppose la rigidité et l’incompréhension, dans sa normalité, de l’œil qui l’observe : celui sublime d'Anaïs Demoustier. Refusant d’abord un entretien écrit, il finit par casser la caméra - "énorme ou giganteeeesque", comme il le demande – en voulant conduire sa voiture, sans oublier ses accès de colère répétés ou ses gestes déplacés pour traduire une certaine complaisance dans l’impunité et le génie. C’est là que ce développe ce paradoxe magnifique : un hommage à Salvador Dali, un portrait d’artiste, qui ne trouve sa portée émotionnelle qu’en inversant la caméra de place et en filmant l’œil lui-même, le réalisateur finalement.

C’est en enfant égoïste qu’il nous est montré, en insistant sur son caractère narcissique. Tout n’est là que pour le servir, il faut produire “un film de cinématographie à la hauteur de Daaaaaali”. C’est tout ce qui intéresse le film du point de vue purement mental, il n’y a de place pour rien d’autre – il est partout, dans tous les écrans et toutes les pensées, voire il se dédouble dans le vertige de sa confrontation à son lui plus âgé. Il en va de même lorsque le documentaire sur lui touche à sa fin, l’artiste s’interroge encore : comment rendre le film encore plus Dali ? Cela passe, notamment, par l’effacement progressif, dans le cadre, de la journaliste et chaque nouvelle conclusion n’est pas assez jusqu’au-boutiste ; il faut trouver l’absolu de Dali, ce premier degré direct au cœur de toute l’œuvre de Dupieux. Celui qui dévore littéralement l’image, au point d’en être le seul protagoniste.

Du Dali il nous en est servi, rallongé par six “a” dans son titre et incarné par autant d'acteurs à l’écran. La sève entière semble imprégnée d’un esprit fou, mort voilà des décennies mais plus éclatant que jamais. Un film personnage oui, mais qui semble transformer toute sa diégèse en monde-personnage. “Dali est probablement le seul artiste encore vivant de toute cette planète” dit-il d’ailleurs dans une constante lourdeur, laquelle fait sens tant rien ne semble exister au-delà des quelques décors où il évolue. Il est au cœur de tout, allant jusqu’à vivre dans les rêves des autres personnages ou faisant une piètre imitation dalienne du sommeil.

Pourtant le seul artiste à l’oeuvre ici est cette journaliste Judith, qui fait tous les efforts possibles pour obtenir son sujet sur le peintre, trouver la bonne grosse caméra possible, courir jusque derrière sa voiture même dans les rêves des autres, appeler infiniment sur son téléphone ou toutes les petites attentions pour soigner l’ego de sa majesté, ses petites manies incessantes. Ce serait donc plutôt un autoportrait de Dupieux, pas celui d’un artiste surréaliste mais plutôt d’un observateur fasciné, courant toujours après un “monstre” qu’il ne peut vraiment saisir. Dali n’est pas artiste mais seulement acteur. Il est l’objet du cadre, celui que l’artiste va façonner. Il y a là une continuité directe du précédent film de Dupieux sur l’art, Yannick, où un employé de parking prend en otage une représentation de théâtre pour écrire sa propre pièce.

"Entre nous, une boulangère qui veut un film sur un peintre...” dit Jérôme, son producteur, à Judith, mettant en lumière le conflit de classe de ce projet. C’est précisément ce qui rend les personnages dupieusiens, ses artistes, si touchants : ils créent spontanément, d’un amour direct et non feint, sans référence préalable. C’est une fable sur le mal d’amour par un Yannick seul, ou un portrait sur une fascination primaire, quasiment enfantine, de la part d’une ancienne pharmacienne – et non pas boulangère comme s’entête à le dire Jérôme. Car derrière tous ces “trucs” de montage (la marche infinie du début ou le changement de Dali au gré des raccords), ces triturages scénaristiques (ce rêve dans le rêve dans le rêve... interminable), le cinéma de Dupieux est en réalité une ode la simplicité des émotions, au direct des relations, constamment en bascule avec un monde au-delà de toute norme. C’est dans ces quelques notes qui se répètent en boucle de Thomas Bangalter, dans ce regard mélancolique d’une artiste écrasée par un monde qui la dépasse que se trouve l’émotion première. Peut-être que Salvador Dali n’est jamais arrivé au bout de son couloir inaugural, peut-être n’est-il qu’une image lointaine dont on entend l’accent sonner en écho dans un hôtel de mauvais goût. Ou peut-être est-il là, du début à la fin, dans son tout ; “Ça c’est Dali !” saisi précisément. La seule chose dont on peut être sûr est que le regard de Dupieux se trouve dans le plan final du film, dans ce flou de caméra qui a essayé, le temps de 1 heure et 19 minutes d’aller saisir l’insaisissable.


Victor Abouaf

dali1.webp

©DIAPHANA/ATELIER DE PRODUCTION/FRANCE 3 CINÉMA/2023