Critique du film Climax

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Par Super Seven

le 01/11/2020

SuperSeven :


UNE SANGRIA ET QUELQUES DANSEURS

Une femme, seule, dans la neige. Comme une tache brune sur une peinture blanche. Cette nuit, le sang a coulé et Gaspar Noé nous a encore régalé. Si le cinéma du metteur en scène franco-argentin repose habituellement sur des scénarios simples, Climax ne semble pas déroger à cette règle : après une scène de casting filmée sur TV, nous retrouvons une quinzaine de danseurs en pleine soirée d’avant-tournée. L’ambiance est bonne, la musique aussi. Emmanuelle, la chorégraphe, a même ramené son petit garçon Tito. Tandis que les corps se mouvent sur une bande originale allant de Supernaturepar Cerrone à Born to be Alive de Patrick Hernandez, on se désaltère à l’aide d’un verre ou deux de sangria. Les conversations vont bon train : ça parle baise, enfant et amour. Problème : quelqu’un a mis quelque chose dans la sangria. Une drogue plus précisément. L’ivresse balayée d’un revers de manche est rapidement remplacée par demoiselle l’Enfer. Sans issues, la joyeuse bande se voit infligée le pire des supplices. La tornade destructrice s’invite chez nos danseurs, les grignote à mesure qu’ils dansent, les submerge enfin lorsqu’ils s’abandonnent au « bad trip ».

Il faut dire que Climax est seulement le troisième opus d’une saga que l’on pourrait facilement nommer “Les vices de l’Homme”. Dans Irréversible (2002), la vengeance, cruelle et violente. Dans Love (2015), la toxicité d’une relation amoureuse faite d’excès et de promesses. Dans Climax c’est plutôt l’enfer de la drogue, celle dont la montée fulgurante ne permet aucune descente, du moins sans conséquences. A la manière d’un légiste, Noé recherche la cause du décès. Il gagne rapidement les tréfonds de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus viscérale et animale.

L'HOMME EST UN LOUP POUR L'HOMME

L’horreur de Climax peut être analysée sur deux parties bien distinctes : la première, d’un relatif calme nous présente les principaux personnages du film. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Quelles sont leurs motivations ? Après quoi, le réalisateur s’efforce de nous introduire aux relations qu’entretiennent les personnages entre eux, leurs amitiés voire parfois leurs animosités. De longues conversations, finalement futiles au vue des événements qui vont suivre, mais qui ont leur importance. Car si Noé met autant d’énergie à recréer les conditions d’un groupe (d’amis ou non), c’est pour installer le spectateur dans quelque chose d’aussi confortable qu’une simple fête. C’est aussi dans cette première partie que le film nous offre ce qu’il a de plus remarquable peut-être : cinq minutes de danse enivrée, millimétrée et durant laquelle le metteur en scène s’improvise chorégraphe. Outre la beauté des mouvements de caméra d’une fluidité folle, c’est cette énergie de groupe qui marque.

Toutefois, et comme dans tous les films de Gaspar Noé, ce qu’on voit à l’image n’est qu’un écran de fumée qui ne demande qu’à se dissiper. Le climax n’est donc jamais loin, qu’il soit tapi dans l’ombre ou dans les effluves d’une boisson alcoolisée, car c’est lui qui apporte toute sa saveur au long-métrage. D’une brutalité vive, il marque, selon les définitions couramment admises, un “point culminant” voire même un point de non-retour.

C’est une deuxième partie en demi-teinte qui suit ce climax. En partant très vite et très fort, Gaspar Noé nous prend presque de court tant il nous avait habitué au crescendo. Climax n’a visiblement pas cette patience : au moment où les personnages comprennent qu’ils viennent d’être drogués, c’est la violence qui part au quart de tour. Il y a tout d’abord les hurlements et les regards hébétés, les corps en transe et les réactions physiques que personne ne souhaite expérimenter. Peu à peu, le cauchemar prend vie et gagne nos danseurs qui n’ont aucune sortie de secours. Les voici déambulant, ici et là, perdus dans un dédale de couloirs, de pièces et de chambres, tantôt rouges, tantôt bleues, tantôt vertes. Privés de lucidité, les protagonistes se déchirent moins qu’ils entre-tuent. Sait on jamais, le coupable se trouve peut-être parmi les victimes.

RADICALITÉ EST-ELLE SYNONYME DE QUALITÉ ?

Climax est radical, ne serait-ce que par sa forme. Le générique de fin se trouve par exemple au début. Quant aux noms des acteurs, ils sont affichés au milieu du long-métrage. De plus, le côté “caméra embarquée” du long-métrage donne l’impression au spectateur d’être immergé de force dans cet enfer. Pris en otage, un véritable sentiment de mal-être finit par nous contaminer nous aussi. Néanmoins, ce procédé très intéressant à première vue et permettant une implication émotionnelle indéniable devient rapidement lassant voire agaçant.

Par sa forme alors, Climax — et le cinéma de Gaspar Noé plus largement — fait preuve de radicalité. La question est maintenant : radicalité est-elle synonyme de qualité ? S’il s’avère que Climax est une grande œuvre de cinéma, c’est surtout car elle est vectrice d’émotions vives, souvent désagréables et pouvant aller jusqu’à créer une répulsion pour le spectateur. Malheureusement, et malgré ses nombreuses qualités, on dirait que le « jusque-boutisme » de Noé l’oblige toujours à aller au delà des limites du raisonnable. En effet, et dès lors que la caméra se rapproche du sol et que l’image se teint de rouge, le rendu devient illisible et nous assomme presque d’ennui. Mais peu importe en réalité tant le metteur en scène réussit son pari et signe là l’un de ses meilleurs films.

Bien qu’imparfaite, c’est donc avec générosité que Climax invite son spectateur à vivre une expérience émotionnelle forte. Car si pour certains, le cinéma français est mort, il est bien vivant chez Gaspar Noé.


Marine Evain.

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