Par Super Seven
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Carax, autoportrait de la négation
Il est impossible de sous-estimer la puissance de ce titre : C’est pas moi. Mais alors qui es-tu ? Certains diront que tu n’es qu’une pâle copie de Godard, d’autres diront que tu es Carax, et le reste affirmera le contraire. En effet, le film se construit comme une ribambelle d’images, d’archives, accompagnées d’une voix-off, et il est difficile de ne pas y voir une évidente référence – si ce n’est plus – aux Histoire(s) du cinéma. Pourtant, bien qu’il ne faille pas compter cette référence comme anecdotique, il est important de ne pas la considérer comme l’élément de critique principal – qu'elle soit bonne ou mauvaise qui plus est. La définition de son propre Moi se manifeste par une négation crue du texte et des images diffusés. Trois ans après Annette, Leos Carax revient avec un film tout aussi déconcertant : le style change, évolue, mais sans jamais laisser à la trappe son ancien Moi cinématographique. Boy meets girl, Annette, Monsieur Merde, l’auteur reprend ses classiques et retrouve parfois même ses origines pour arriver à former le puzzle C’est pas moi, paradoxale reconstruction de sa propre vie et de sa propre filmographie.
En seulement quarante minutes, cette lettre aux allures d’adieux surprend par l'accumulation incessante d’images parfois dénuées de sens, jusqu’à apercevoir Hitler, au gré d’un plan, perdu dans une nuée d’informations personnelles et parfois ironiquement incongrues. Histoire, images, archives, voilà trois clés de ce nouveau film que Carax utilise pour former son autoportrait. Pour reprendre et nuancer ce qu’écrivait Maurice Blanchot : “La lumière [à remplacer par “L’image” dans notre cas] est ainsi trompeuse (au moins) deux fois : parce qu’elle nous trompe sur elle et nous trompe en donnant pour immédiat ce qui ne l’est pas, comme simple ce qui ne l’est pas”. Un passage qui résonne avec la manière qu’a Carax de manipuler les mots et les images. Pourquoi se présenter simplement lorsque l’on peut le faire en disant seulement ce que l’on n’est pas ? L’exercice de style permet ainsi, par le biais d’un formalisme excessif, de contourner le “trop formel”, c’est à dire l’attendu.
Bien que le message passé s’accorde avec une certaine ironie malsaine, le montage corrélant le mouvement #MeToo et l’image de Polanski atteste du souhait de l’auteur à vouloir allier actualité et passé. Carax n’hésite pas à se montrer terre à terre, témoignant d’une certaine liberté revendiquée et illustrée par le magnifique saut dans la piscine d’une femme – devenu affiche du film – à laquelle il oppose une ambiance morbide, projetant des images alternées de bombardements et d’Hitler. Cette dialectique dans la mise en avant de la violence sous-tend la dimension révolutionnaire de l’entreprise de Carax ; il n’a pas peur de lorgner vers certains extrêmes de l’inattendu, notamment une forme de spiritisme incarnée par trois femmes, poitrine nue, brandissant des slogans contestataires écrits à même leur peau : “Fuck God”.
Il se distingue pourtant dans cet autoportrait de la négation, un Moi puissant : non pas celui d’Alex Dupont, mais bien celui de Leos Carax, initié par un dialogue introspectif avec et entre ses films : la scène culte de Denis Lavant courant sur Modern Love dans Mauvais Sang revient à plusieurs reprises avant d’être réinterprétée par la poupée d’Annette, tandis que Carax lui-même discute avec Monsieur Merde dans un geste d’échange avec son segment de Tokyo et Holy Motors. Rien de plus personnel et d’intime pour un réalisateur que de prendre la caméra, filmer, et diffuser ses propres images, sa propre œuvre en salle. Parmi toute cette négation presque ironique, Leos Carax délivre son réel Moi en passant par le cinéma. Non, Leos Carax n’enlèvera pas ses lunettes cette année, ses deux verres sombres qui créent l’illusion selon laquelle le réalisateur ne voit le monde que par le Septième art et ses salles obscures.
Erwan Mas