Par Super Seven
SuperSeven :
JOLI STRIKE POUR MAZUY
A la mort de leur père, deux frères se recroisent et se partagent son héritage. Guillaume, un policier, devient propriétaire du bowling familial et en confie la gérance à Armand, le “bâtard” de la famille. Cette succession, au cœur de Bowling Saturne, nouvelle sortie de Patricia Mazuy, engendre une spirale de violence et de conflits aux lourdes conséquences.
A travers cette dualité fraternelle, Mazuy entend explorer le “film de genre” — une notion qu’elle aime rappeler quand elle parle de son film — en découpant son récit en actes de genres variés. Ainsi, Bowling Saturne relève du (néo-)noir dans son premier acte, avant de basculer — par l’une des meilleures scènes du film — dans un second plus procédural ; le dernier tiers voit d’ailleurs deux s’entrechoquer. Elle joue donc avec les ombres, par son éclairage vif et parfois saturé (souvent rempli de rouges), et offre à voir une société rongée de l’intérieur : le sexisme est de mise, et les forces de l’ordre ne peuvent rien y faire. L’environnement dépeint recèle une certaine violence que Mazuy n’hésite pas à manifester — le policier ne fait rien pour empêcher un suicide, il empêche de porter plainte... —, sans jamais expliquer les agissements d’Armand par cela. Elle dresse pour seul constat l’impact sur l’inconscient, dans une société banalisant les crimes sur les femmes.
Aussi, elle donne une importance au son, notamment au silence. Le but n’est pas de styliser son étude de personnage mais de plonger le spectateur au cœur de son mal-être — l’une des scènes-pivots se concentre sur le personnage en très gros plan, sans musique et seulement rythmé par les bruits naturels. Pour revenir sur la violence inhérente à cet univers, l’intelligence de Mazuy est que, passé une première scène aussi crue que chorégraphiée, celle-ci prenne vie hors-champ. Ceci témoigne d’une impressionnante confiance doublée d’un respect pour le spectateur, lequel peut, une fois les clés en main, s’imaginer les différents actes dont la vue lui échappe.
Il s’agit également d’un indicateur de l’importance qu’accorde Mazuy à l’espace, que l’on retrouve aussi dans l’utilisation de ses décors, celui éponyme en tête. Le Bowling “Saturne” est un concentré de noirceur. Cet héritage “maudit” est — comme Mazuy le dit elle-même — “l’antre de l’ogre”, habitant tout le bien et le mal de cette famille. La trame des chasseurs apparaît alors comme un fantôme de leur père : en étant forcé de les accueillir en leur sein (le bowling), les deux frères sont confrontés à ce que leur père leur a laissé, tant métaphoriquement que physiquement. Une confrontation qui se matérialise aussi pour Armand dans l’appartement situé au-dessus du bowling, empli de traces d’exploits de chasse, un hobby qu’il a aimé au détriment de ses fils.
D’autre part, le commissariat dans lequel Guillaume travaille – et habite pratiquement – lui permet d’exister au-delà du commerce familial, et donc de l’aura spectrale liée à l’héritage. Lui qui a entretenu des rapports délicats avec son paternel – entre refus systématique d’aller chasser à ses côtés, et vocation policière pour « l’emmerder » selon un autre personnage –, se démarque ainsi de son frère qui, enfermé dans le bowling, se reconnecte d’une certaine manière à celui qu’il avait délibérément peu côtoyé plus jeune. Une double relation familiale qui confère une dimension mythologique à l’entreprise. Si le dieu du titre est connu pour avoir dévoré ses enfants avant d’être battu et chassé par l’un d’entre eux, Mazuy imagine à son tour un monde où l’absence de la figure d’autorité sépare les rejetons tandis que le chaos fait sa loi. La cinéaste devient poétesse, ses personnages, eux, gravitent autour de ce bowling comme deux anneaux autour de Saturne...
Pierre-Alexandre Barillier
