Critique du film Blonde

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Par Super Seven

le 10/09/2022

SuperSeven :


MARYLIN MONROE, VRAIMENT ?


Dans ces derniers mois d’une année particulièrement chargée en cinéma de grande qualité, Netflix commence à sortir les grosses cartes. De Bardo à Knives Out 2, en passant par White Noise et Pinocchio, signés par des grands noms du milieu (Iñarritu, Johnson, Baumbach ou bien encore Del Toro), un mystère restait dans l’équation : Blonde d’Andrew Dominik.
L’histoire « tumultueuse » du film commence avec la longue bataille entre Netflix et le réalisateur pour la fameuse final cut, cette bataille culminant avec la victoire de Dominik mais à un prix : une interdiction NC-17 aux États-Unis — impossible donc de voir le film en salles en dessous de 17 ans, même accompagné. Pressenti (et voulu par Thierry Frémaux) deux années de suite pour le Festival de Cannes, Blonde a finalement fait sa grande première au Lido de la Mostra de Venise en compétition, et, pour les français, au Festival de Deauville. Gros coup pour le festival spécialisé dans le cinéma américain, puisque cette séance unique de Blonde — accompagné d’une récompense pour la carrière fulgurante de son actrice principale, Ana de Armas — signe l’une des deux seules séances françaises (avec l’Institut Lumière de Lyon) avant sa sortie sur Netflix le 28 septembre. Un gros coup en termes de visibilité et de standing donc, mais plus discutable en termes de cinéma.

Attention, certaines qualités au film sont indéniables. Citée précédemment, Ana de Armas trouve en Marilyn Monroe/Norma Jeane Baker le rôle de sa carrière — sans difficulté, c’est seulement la deuxième fois que l’actrice obtient le premier rôle d’un film, l’autre étant À Couteaux Tirés — et brille dans certaines scènes. Cela dit, sur les 2h45 de métrage, une certaine lassitude nous guette irrémédiablement tant le rôle de l’interprète consiste à pleurer, pleurer mais également pleurer. Certes, les larmes d’Ana de Armas sont convaincantes, et elle parvient très bien à entrer dans le corps et l’âme de la figure tragique que fut Marilyn. C’est d’ailleurs ce qui fait regretter qu’elle n’ait pas autre chose que ses glandes lacrymales à faire valoir, elle qui a une palette de jeu potentiellement riche.

Andrew Dominik, lui, joue d’une mise en scène extrêmement généreuse, alternant entre noir & blanc et couleurs — le spectateur se demande quand même POURQUOI cette variation, compréhensible au début et totalement aléatoire passé le deuxième acte —, avec des plans assez marquants et un montage pointu et intéressant. Mais justement, cette réalisation, si généreuse soit-elle, paraît totalement boursoufflée. La fin de l’abondance, oui, mais pas pour Andrew Dominik ; le florilège d’effets de style tentés attire, subjugue, mais finit par lasser le spectateur.

Certaines scènes, finalement très douces comparées à ce qui nous est montré durant ces (presque) trois heures particulièrement éprouvantes, arrivent tout de même à créer la surprise. Ce n’est pas sans mérite pour la bande originale du film, composée par Nick Cave & Warren Ellis, qui finit par amener ce côté Twin Peaks : Fire Walk With Me, qu’Andrew Dominik tente d’insuffler autrement, en échouant par beaucoup d’aspects ; en s’inspirant des partitions d’Angelo Badalamenti, le bercement au synthétiseur — tantôt doux, tantôt abrupt — accompagne sublimement des images qui trouvent alors toute leur puissance.

Néanmoins, là où le projet était aussi décrié qu’attendu, c’est qu’il est l’adaptation du roman du même titre de Joyce Carol Oates, vendu comme un détournement fictif de la vie de Marilyn Monroe. Or, c’est bien là le problème.
En adaptant précisément ce livre sur l’actrice, Andrew Dominik souhaitait « dénoncer » ce que le monde pensait de Monroe : un sex-symbol contre son gré, statut qui a fini par la mener à sa perte. Un parti-pris pertinent si Dominik ne tombait pas exactement dans ce qu’il entend critiquer. En effet, n’attendez pas de Blonde d’humaniser davantage Marilyn Monroe. Raconter le film de son point de vue, c’est bien et cela permet de créer de l’attachement, mais le traitement que le film lui réserve amène à encore plus de cruauté que ce que cette figure tragique a pu vivre à titre personnel et privé. Pourquoi faire vivre à cette Marilyn fictive des viols, des avortements — reprochés à l’actrice par un fœtus dans une scène absolument lunaire —, des fausses couches, de l’abus physique et moral, des violences conjugales ? Et encore, tout n’est pas dit. Sous couvert du sacro-saint pouvoir de la fiction, Dominik & Oates dénigrent totalement Marilyn Monroe, tant le sex-symbol, l’actrice que Norma Jeane Baker, la femme. Les têtes pensantes derrière Blonde semblent prêts à tout pour générer du scandale et faire parler de leur film. Prêts à tout, même à ridiculiser, infantiliser — ayant été abandonnée tôt par sa mère et n’ayant jamais connu son père, il est donc tout à fait logique que Monroe appelle toutes ses amourettes « Daddy » de la manière la plus enfantine possible — et traiter d’une manière irrespectueuse une figure tragique qui ne méritait pas ce qui lui est arrivé et qui, même après la mort, continue à subir un traitement plus bas-que-terre de la part d’Hollywood. Marilyn ne méritait rien de cela, et encore moins une histoire fictionnelle dégradante. Une histoire fallacieuse que le marketing a tant bien que mal essayé de faire passer pour un biopic, tant le côté fantaisiste n’a que rarement été révélé, à travers quelques interviews sur ces trois dernières années.

À quel point peut-on faire passer de l’irrespect pour de l’art ? C’est bien l’une des principales questions qu’un spectateur un minimum instruit — sur le projet et la vie de l’actrice dépeinte — peut se poser en finissant le film. En réalité, Andrew Dominik se moque de cela. Car oui, si le film vous paraît insolent et méprisant envers Monroe, vous ne l’avez pas compris. Le film n’est pas fait pour tout le monde. Les spectateurs ne le comprennent pas comme le réalisateur ? C’est leur problème. Oui, le cinéaste a dit ça. Il est alors facile de cerner le respect porté à la figure derrière Blonde.
Dans une scène, la Norma Jeane d’Ana de Armas se questionne sur « pourquoi me regarde-t-on comme l’on regarderait un bout de viande ? ». C’est finalement une très bonne question à poser à Joyce Carol Oates et Andrew Dominik, qui, à défaut de mettre à mal cette image, l’ont bien relayée.


Pierre-Alexandre Barillier

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