Critique du film Big Guns

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Par Super Seven

le 20/02/2023

SuperSeven :


Après une série de rôles de beau gosse énigmatique dans les années 60 — tantôt romantique, tantôt avec des penchants plus pervers —, les années 70 font ressortir dans la carrière de Delon un nouveau « personnage-type » : le gangster, tueur solitaire, homme abîmé par la vie. Une manière pour lui de montrer qu’il ne compte pas uniquement sur son physique pour ses rôles, et peut leur apporter plus de profondeur et de mélancolie ? Malheureusement Alain, même les cheveux gras et des cicatrices au visage, tu restes le plus bel homme du monde…

En l’occurrence, le choix de ses films demeure particulièrement intéressant, proposant des collaborations avec des grands noms du cinéma français, italien, et de toute l’Europe.  
On continue de le voir chez Melville, avec le sublime Cercle Rouge, beaucoup chez Deray, Lautner, ou Giovanni, mais encore chez Joseph Losey avec Monsieur Klein, ou chez Valerio Zurlini avec Le Professeur (son rôle de coproducteur dessus a créé bien des conflits, mais, des années après, il reste un film culte du cinéma italien des années 70). Citer ce Zurlini en conclusion de cette belle liste n’est pas anodin, puisqu’il est, à plusieurs égards, comparable à notre intéressé du jour : Big Guns (parfois Les Grands Fusils) de Duccio Tessari

Certes, Le Professeur est bien plus centré sur la romance impossible de ses protagonistes que sur des histoires de gang, mais Big Guns se trouve être un film d’une grande mélancolie, au gré d'un travail sur son ambiance plutôt que par la seule recherche de sensations. Delon y est dans les deux cas similaire, son jeu se fondant sur une économie de mots et un regard très expressif. 
Les Grands Fusils s’inscrit ainsi dans le mouvement parfois nommé « Eurocrime » (avec sa branche italienne le "polizziotesco"), englobant les films policiers et de gangster italiens de la période. Un genre auquel se greffe parfaitement l'oeuvre de Jean-Pierre Melville, chez qui Alain Delon trouve sans doute son plus grand rôle du courant avec Le Samouraï. Ce dernier est d’ailleurs également un point d’ancre évident pour le développement du rôle de Tony Arzenta, certains plans le situant dans de grands espaces vides comme pour citer directement la solitude du Samouraï. 
Vous l’aurez compris, cette nouvelle lignée de gangsters ne répond pas à l’archétype des gros bras, ni à une soif de violence : ce sont des hommes solitaires, distingués, remplissant leurs tâches de tueurs à gage avec élégance et application. Ils ne tuent pas par vengeance, par velléité de pouvoir ou par malveillance, mais bien par pur professionnalisme. 

Dans Big Guns, Tony Arzenta (nom qui donne d’ailleurs son titre original au film) est l’un des meilleurs. Mais puisque tuer n’est que sa profession, il a aussi droit à sa petite vie tranquille avec femme et enfant. Le point de départ de l’intrigue n’est donc autre qu’un père qui souhaite prendre sa retraite afin d’être proche des siens, oubliant cependant que le bonheur lui est proscrit par sa condition d'héros eurocrimien. Dès lors, Big Guns vire rapidement au John Wick à l’italienne, avec en l'espèce sa famille à venger, seule chose qui le préservait de sombrer dans la plus froide apathie.

Tessari insuffle un rythme surprenant, avec une atmosphère planante qui peut soudainement s'effacer au profit d'une course poursuite en voiture ou scène d’action parfaitement chorégraphiée. La bande originale vient renforcer le caractère étonnant de ces séquences : elle arrive parfois assez brutalement et semble à première vue dissonante face aux images, mais ajoute de la profondeur au mouvement, parvenant à un effet assez hypnotisant. Il s'agit de garder le spectateur captivé en permanence, de ne jamais le laisser s'éloigner, d'où l'utilisation de nombreux jump-cut et zooms pour rendre toujours plus imprévisible le déroulement de l'action.

On ne peut bien sûr pas prétendre assister au récit le mieux ficelé du monde, et l’aspect très mécanique de l’histoire de vengeance, éculée déjà des milliers de fois, pourrait frôler le ridicule, mais ce serait omettre l’audace de son réalisateur. Celui-ci nous fait voyager à travers toute l’Europe, traversant tour à tour la Sicile, Hambourg ou encore Copenhague, apportant en chaque lieu un grand soin à son cadre et ses décors, faits de bars miteux et de grandes maisons baroques. Un contraste intéressant est dressé entre le monde de la nuit et de la violence, ses décors sombres qui regorgent de miroirs — comme pour signaler leur ambivalence —, et une portée plus spirituelle du récit, avec des passages plus calmes dans de grandes églises, ou encore cette sublime discussion finale en extérieur en guise de respiration. 

Difficile de comprendre comment cette petite merveille inclassable a pu rester si longtemps sous le radar. La ressortie par Les Films du Camélia n'est donc pas qu'un prétexte à la découverte, c'en est un à la réhabilitation d'une oeuvre qui ne volerait pas la réputation d'être phare dans les années 70 d'Alain Delon !


Pauline Jannon

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