Critique du film Bernie

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Par Super Seven

le 05/12/2020

SuperSeven :


Alors qu’est récemment sorti l’incisif "Adieu les cons", il semble important de revenir sur "Bernie", un premier fait d’arme toujours d’actualité qui révèle beaucoup la personnalité de son auteur.

Le film sorti en 1996 raconte l’histoire de Bernie, trentenaire atypique qui quitte l’orphelinat au sein duquel il a toujours vécu. Il ne connait pas bien les mécanismes de la société extérieure et, avec une certaine somme en poche, va tenter de retrouver ses origines. Au cours de cette quête d’identité, sa déconnection avec le monde et la réalité va s’intensifier et mener à des situations plus absurdes les unes que les autres.

Albert Dupontel, dont il s’agit du premier passage derrière la caméra pour un long-métrage, interprète ici le personnage éponyme, un marginal aux allures de psychopathe candide.
Apparait alors le constat amer d’une certaine France, celle des HLM, des terrains désaffectés et des SDF. Bernie se retrouve confronté à la misère sociale de laquelle il est issu sans aucun filtre ni code, et c’est à partir de cette confrontation qu’il va commencer à interpréter tout ce qu’il découvre sur ses origines par le prisme de son imaginaire. Face à cette horreur, Il se réfugie dans une histoire qu’il crée de toute pièce, laquelle va le faire évoluer en décalage complet avec son environnement et avec les autres personnages.
Pour Bernie, le monde entier est l’ennemi, et sa paranoïa grandissante le pousse souvent à agir de manière extrême. La crudité de la violence, qu’elle soit psychologique ou graphique, a marqué les esprits à sa sortie. C’est l’une des raisons principales pour laquelle beaucoup l’ont décrié, à l’instar des Cahiers du Cinéma et Positif et de leurs critiques acidulées. Pourtant, cette violence dans la forme même du film semble être la simple expression de plusieurs réalités, une expression très exacerbée certes mais qui sert un propos plus profond sur l’isolement et la misère.

L’humour - noir - a aussi une place très importante et s’avère parfois salvateur, comme la seule issue possible pour survivre psychologiquement à des situations aussi horribles. C’est la patte de Dupontel qui se crée petit à petit : l’hilarité est un moyen de prendre du recul, de s’évader de la tragédie pure et dure, de transformer cette noirceur en quelque chose de plus digeste, et surtout de montrer la réelle complexité de la vie et de l’esprit humain.
Derrière cette habile utilisation du rire du spectateur se cache également une critique acerbe de la société : on apprend que l’on peut tout faire tant que l’on a de l’argent, mais que l’on finit toujours par se faire piéger. Dupontel nous parle de prédestination et démontre qu’il est difficile d’échapper à sa condition, à l’image de la mère de Bernie qui suit un parcours social digne d’un roman d’Emile Zola. La seule échappatoire face à l’autorité, à la misère, c’est l’abstraction, le rêve. Bernie est un poète malgré lui, un être humain sans morale et rempli d’espérances. Son imaginaire lui vient d’ailleurs du cinéma, du Western même, et on peut comprendre alors une certaine identification de l’auteur/acteur à son personnage.

Moins fin et poétique que certains films plus récents de Dupontel, on trouve là cependant l’essence même de son œuvre.
Bernie est un « ovni », une pépite brute et brutale très intéressante par ses imperfections formelles et ses personnages hauts en couleur, qui tient toujours la route vingt-cinq ans après avoir inauguré la filmographie de l’un de nos auteurs les plus passionnants de ces dernières années.


Félix Ogée

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