Critique du film Basic Instinct

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Par Super Seven

le 20/04/2021

SuperSeven :


Il est un pari risqué que de laisser son spectateur dans le flou quant aux intentions derrière l’histoire mise en scène. Certains réalisateurs parviennent avec brio à brouiller les pistes et garder une œuvre énigmatique sans pour autant être trop confuse, à l’instar de Lynch qui en a même fait sa marque de fabrique. D’autres tombent dans le piège de livrer une bouillie au spectateur en lui laissant démêler le tout sans aucun indice, pour un résultat parfois très frustrant. Avec Basic Instinct, Verhoeven est de ceux qui parviennent à jouer avec leur public, les laissant tirer leurs propres conclusions sans jamais savoir si elles sont les bonnes. Un jeu finement exécuté.

Ce jeu c’est aussi celui qui se met en place entre Nick (Michael Douglas) et Catherine (Sharon Stone). D’un côté, un policier violent, alcoolique et trainant derrière lui un passé rempli de faux pas, de l’autre une femme fatale manipulatrice qui s’amuse à brouiller fiction et réalité. Le jeu du chat et de la souris naissant entre nos deux protagonistes va vite se transformer en relation des plus bestiales, laissant sur le côté et leur réserves l’un sur l’autre, et leur entourage pour ne garder que leur instinct primitif. Du crime et du sexe, il n’en faut pas plus à Verhoeven pour nous offrir un cocktail explosif, haletant de bout en bout.

Tous les codes du film noir – de l’intrigue sur fond d’enquête au jeu de séduction, en passant par l’utilisation de la lumière – sont maniés et réutilisés d’une main de maître pour un résultat hypnotisant et jouissif. Les dialogues nous offrent un véritable ping-pong qui ne cesse de tisser des liens entre les personnages, reprenant les mots les uns des autres et entrainant au choix confusion ou amusement. Le moindre échange est détonant, et si l’on pense au début pouvoir vite deviner l’aboutissement du récit, on se rend bien vite compte que celui-ci peut se renverser à tout moment. Le héros qui nous est présenté agit de plus en plus comme un coupable, tandis que la prétendue « méchante » gagne notre sympathie quant à sa possible innocence.

Le scénario et la mise en scène sont d’une précision chirurgicale, et ce dès la première séquence. Une séquence à laquelle on ne cesse de revenir, et qui provoque un rictus sur nos lèvres. La suite est presque évidente… Oui, presque…
Ce qui distingue Basic Instinct d’un thriller classique, c’est ce petit doute qui est instillé dans notre esprit et persiste tout le long de notre visionnage. Il est alimenté par certains détails qui viennent brouiller nos perceptions. Le corps que nous avons vu de dos lors de la scène de sexe précédente est-il vraiment le même que celui-ci ? Le point de vue adopté est-il là pour accabler le personnage, ou bien seulement nous faire croire à sa culpabilité ? Ces détails alimentent l’ambiguïté de la mise en scène, avec des touches plus ou moins subtiles. Cela peut tenir à l’éclairage d’un visage tout sauf naturel, qui va venir appuyer la personne en contrôle de la situation, tout comme à des variations de cadre afin de renforcer cette alternance constante du point de vue du dominant et du dominé.

Tout cela nous fait mettre de côté les questions abordées précédemment pour nous soumettre nous aussi au charme glacial de l’œuvre. Finalement, on se fout de la vérité, et on embrasse la frustration. Le jeu entre Nick et Catherine devient un véritable reflet de celui entre Verhoeven et son spectateur. D’un côté, nous sommes celui qui a des doutes, qui veut en savoir plus et résoudre son enquête, mais qui finit par s’adonner à son opposant devant l’attraction et la fascination que celui-ci provoque. De l’autre, le réalisateur est à l’image de son personnage féminin : amusé par nos tâtonnements, nous envoyant sur des fausses pistes et nous séduisant pour le bien du film, sans pour autant nous porter un véritable attachement.


Cette démarche, Verhoeven avait commencé à l’entreprendre dans Le 4e homme, essai néerlandais de Basic Instinct. Il y explore déjà les thématiques du néo-noir et développe ce jeu de doute malsain à la fois entre les personnages et avec le spectateur, tout en restant à une échelle plus modeste. Avec cette version américaine, il pousse le curseur plus loin, et en profite pour rajouter une bonne dose de son cynisme sur la vulgarité américaine, que l’on retrouve dans ses autres films tels que Showgirls, Robocop, et l’on en passe. On sait d’ailleurs que bien que n’ayant pas écrit le scénario, Verhoeven a su se l’approprier et a refusé de se plier à l’aseptisation de son histoire demandée pour ne choquer personne. Après tout, qui de mieux qu’un réalisateur étranger pour venir bousculer les codes hollywoodiens ?

Aussi, comment parler de Basic Instinct sans mentionner la performance magnétique de la magnifique Sharon Stone ? A travers son image de mante religieuse que tout accuse, elle parvient pourtant à nous charmer et nous donner envie de croire en son innocence. Son personnage, à l’image du film, joue avec notre perversité et notre morale et c’est avec une froideur justement dosée que Stone parvient à créer cet envoûtement.

Le résultat de tout cela est un film absolument obsédant, auquel on ne peut s’empêcher de penser encore des semaines après l’avoir vu. Basic Instinct s’impose comme une figure exemplaire du thriller néo-noir, maitrisant les références du genre pour les modeler autour de ses personnages ambigus et vicieux.
De notre côté, on reprend volontiers une dose du sadisme de Verhoeven en attendant son Benedetta !


Pauline Jannon

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