Critique du film Avatar : La voie de l'eau

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Par Super Seven

le 15/12/2022

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Avatar : la voie de l’eau

Comment, après treize (longues) années d’attente, aborder Avatar : la voie de l’eau, deuxième volet de la saga initiée par James Cameron en 2009 ? D’une part, comme une suite, évidemment. À ce petit jeu, Cameron rappelle pourquoi celles qu’il réalise font toujours date : de son sympathique Aliens à l’impressionnant Terminator 2 ; cette nouvelle aventure des Na’vis s’inscrit dans le sillage de ce dernier, sorte d’extension d’un univers en proie à son apocalypse, doublée d’un affrontement gémellaire (l’ennemi – toujours ce diable de Quaritch – est désormais un homme bleu, comme l’affrontement de Schwarzy impliquait un autre robot). Pour contextualiser un peu plus : des années ont passé depuis les événements du premier film, et les Na’vis vivent paisiblement sur Pandora… jusqu’au retour de « Ceux qui viennent du ciel » avec un commando d’hybrides (mi-na’vis/mi-nazis pour ainsi dire) mené par Quaritch, déterminé à faire la peau à Sully. Celui-ci, en bon protecteur de son peuple, décide de migrer avec sa famille – entre les deux opus, lui et Neytiri ont eu plusieurs enfants – vers les mondes aquatiques de Pandora, sur l’île de la tribu Metkayina.

L’intelligence de Cameron réside dans sa capacité à gérer les mondes qu’il crée et l’intégration de ses personnages. Ainsi, si Avatar relève du point de vue de Jake Sully, le récit se détache ici progressivement de celui-ci pour donner à voir – tour à tour – les regards de tous les membres de sa famille, mais pas que... Ce faisant, il casse habilement la trajectoire attendue du héros, pour revenir à une échelle humaine, celle des sentiments. Cela ne va pas sans une narration un brin prévisible et des enjeux déjà bien rebattus, peut-être la déception de cette suite au récit sans audace, mais l’écriture de chaque personnage compense largement cette légère déconvenue ; qui, au passage, a le mérite de rendre le film impossible à divulgâcher puisqu’il s’agit exclusivement d’ouvrir les yeux. Il parvient en une poignée d’apparitions à rendre le personnage de grand frère, Neytama, essentiel au fonctionnement de la famille, ce qui en décuple la puissance émotionnelle. Aussi, comment ne pas être pris par la rage d’une Neytiri survoltée dans le climax, elle qui reste plus en retrait les deux heures précédentes ? Pour autant, ceux qui se démarquent sont Lo’ak et Kiri (incarné par Sigourney Weaver malgré les quatorze ans d’âge). Tous deux marginaux au sein du clan, il est le rebelle causeur de trouble et elle est la fille adoptée et mystérieuse, Cameron s’attarde sur eux jusqu’à en faire les rouages essentiels, ceux qui comprennent « la voie de l’eau » et sont à même d’y évoluer librement.

Cela dit, et malgré cette réussite, Avatar : la voie de l’eau est d’autre part un monstrueux spectacle. Puisque, quitte à l’aborder, autant y aller franchement ! Dans mon article sur le premier film, je faisais état d’un rendez-vous manqué ayant conduit à la marvellisation de la production hollywoodienne à gros budget, et force est de constater que Cameron nous donne une deuxième chance. Inespérée – quoiqu’attendue –, imméritée – très certainement. Ce prolongement thématique, cette envie de continuer de traiter de sujets politico-écologiques à travers une surenchère technologique trouve presque d’autant plus de sens aujourd’hui qu’en 2009. Alors prophète incompris, Cameron est désormais dans le vif : forêts enflammées et invivables, nécessité absolue de l’espèce humaine de quitter la terre rapidement, plaisir morbide et cupide à tuer des animaux marins ; dur de ne pas penser, notamment, à la pêche intensive ou au drame autour de l’exploitation minière des fonds marins.

Le sentiment d’urgence qui nourrit La voie de l’eau est donc prégnant, mais Cameron le construit avec sagesse et rigueur. Au « I see you » d’il y a treize ans, il oppose désormais « Just see » sous-jacent tant tout est plus que jamais histoire de regard. Non plus celui de Sully sur une nouvelle planète qu’il découvre, mais celui d’enfants sur un environnement marin d’une richesse infinie ; à ce titre, soulevons l’usage parfait de la 3D et du HFR (High Frame Rate : 48 images par seconde au lieu des 24 habituelles) pour rendre palpable ce qui n’est qu’artifice, des flammèches aux petites plantes, en passant par les planctons ou autres micro-détails qui donnent un charme fou à chaque plan, et un sentiment d’immersion absolue. Mais aussi le regard de ces mêmes espèces en danger, à l’instar de celui de Payakan, Tulkun (sorte de cachalot immense) se liant d’amitié avec Lo’ak et apprenant à le regarder sans méfiance, tandis que dans une scène qui suit Cameron nous met dans la peau des chasseurs de ces poissons lors d’un rituel spéciste affreux et dérangeant. Un basculement loin d’être anodin, ramenant toujours à la réflexion ambivalente sur le rapport à la technologie et au progrès face à la Nature, dans une œuvre qui n’entend pas s’en tenir au seul divertissement, ou du moins qui vient casser l’image de ce dernier.

À ce titre, Cameron agit presque comme un pirate sur les mers de Pandora, mais un pirate d’honneur. Sa logique qualitative plutôt que quantitative (il existe assez de « contenus » de cette sorte à « consommer » si c’est ce que vous cherchez), le fait tendre, et ce de plus en plus, vers un cinéma autre, quelque chose qui serait une expérience de cinéma mais plus encore, un rêve éveillé, une errance totale. Il ne s’agit pas pour lui d’enjoindre à poser son cerveau pour se détendre devant des créatures étranges et des explosions, mais bien de nous inviter à faire partie de quelque chose de plus grand l’espace d’un instant, à vivre ce que, peut-être, nous ne pourrons bientôt plutôt vivre. Cette démarche, fière de séquences contemplatives hallucinantes et hallucinées – les expéditions sous-marines, particulièrement celles de Lo’ak et Payakan, relèvent d’un hyperréalisme jamais vu –, rapproche Cameron d’un art à la Terrence Malick, tout en envol, en poésie, en suspens. Si Avatar lorgnait du côté du Nouveau monde, La voie de l’eau rappelle La ligne rouge et sa gravité planante, gonflée de tout le savoir-faire du cinéaste hollywoodien.

Car finalement, cette suite est avant tout un condensé du cinéma de Cameron en 3h12, comme une matrice énorme de blockbuster efficace et puissant pour revenir à la sève du cinéma époustouflant. Ce n’est peut-être pas un hasard si les Na’vis braquent un train de marchandises au début, comme pour renvoyer à l’imaginaire du western qui fut longtemps le spectacle cinématographique principal. De là, c’est toute sa filmographie et une certaine histoire du cinéma qui transparaît peu à peu : les profondeurs marines de The Abyss, les robots et combats des Terminator ou Aliens, et il va même jusqu’à ouvertement citer Titanic lors du climax, avec un bateau qui sombre et une échappée de tous les dangers. Pourtant, il n’y a là rien de narcissique, mais bel et bien l’idée de questionner ce qui fut et peut être grandiose, comme si Cameron testait ultimement une réunion de ses idées pour vérifier qu’elles prennent encore, que son universalité a encore de quoi émerveiller. La réponse est positive, et, plus que jamais, Cameron se révèle précieux. Certes par sa générosité à toute épreuve, mais surtout pour la leçon d’humanité qu’il propose, faisant de son épopée lointaine une fable aux émotions fortes. Car si le cinéma est une manière de s’échapper de notre monde et d’oublier notre quotidien, le sien nous rend profondément vivant.


Elie Bartin

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