Critique du film Avatar

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Par Super Seven

le 03/10/2022

SuperSeven :


La ressortie d’Avatar, en amont de l’arrivée du deuxième volet – véritable arlésienne des années 2010 –, est l’un des événements cinématographiques de l’année. Le succès est encore une fois de mise – meilleure reprise depuis... Titanic –, mais quand bien même, il faut se précipiter, foncer tête baissée pour (re)découvrir cette œuvre hors norme sur un écran, le plus grand possible. Car, quoiqu’on en dise, quoiqu’on en pense, le film de James Cameron a eu un impact considérable sur l’écosystème hollywoodien, mais pas forcément celui escompté. Pour beaucoup, il ne s’agit que de l’introduction de la 3D dans nos salles obscures dans le cadre d’un énième blockbuster de l’un des maîtres en la matière, notamment connu pour ses innovations technologiques. Ce ne sont que foutaises et insultes. S’attarder là-dessus, et résumer Avatar à une vulgaire innovation, témoigne d’un profond mépris envers ce qui – osons le dire – est l’un des plus beaux films à grand spectacle de ces quinze dernières années, si ce n’est le plus beau ; seuls Mad Max : Fury Road, quelques sorties spielbergiennes (son fabuleux Tintin et le secret de la Licorne ou plus récemment West Side Story), Blade Runner 2049 et les folies Crusiennes (Mission : Impossible et Top Gun : Maverick) tiennent la comparaison. Voilà d’ailleurs ce qui révolte, quand on voit ce dont Hollywood, plus précisément Disney, nous a abreuvé durant l’intervalle 2009-2022, avec des films (?) de franchises allant à l’encontre du geste de Cameron, pour culminer en une hégémonie désormais quasi parfaite, et l’ironie qu’Avatar soit l’une des nouvelles vitrines de Mickey.

Il y a là comme un rendez-vous finalement manqué, posant la question d’un certain aveuglement, le nôtre. Derrières ses atours de divertissement irréel, souvent qualifié – à tort – de Pocahontas « de luxe », la réflexion de Cameron est beaucoup plus profonde, transcendant même la forme choisie. Le presque tout numérique, désormais précepte absolu de toute grosse production – à quelques exceptions près –, n’est pas une facilité, mais le cœur même du projet. La technologie appose une relecture dialectique de notre rapport au monde : celui habitable et à protéger étant « faux », tandis que seuls les acteurs sous forme humaine – les militaires donc, pour la grande majorité – sont « vrais ». Cette opposition crée un ressenti étrange, puisque, pour nos yeux, cette dichotomie vrai-faux est en réalité inversée. La norme est le faux, donc le vrai de cet univers, tandis que les soldats apparaissent comme dissonants, leurs visages se mêlant mal à cet endroit qu’ils investissent pour de mauvaises raisons, de sorte que le spectateur, pris à rebours, plonge dans la fameuse vallée dérangeante en prenant parti pour Pandora et les Na’vis, dont les formes nous paraissent naturelles. Ainsi, Avatar apparaît presque comme le négatif – ou plutôt le positif, eut égard au message – d’Aliens, dans lequel Cameron nous plaçait du côté des mitraillettes et rendait jouissive la destruction de la planète et ses habitants – certes dangereux et hostiles, mais ne le sont-ils pas finalement par pur réflexe défensif ? Moins plaidoyer qu’admission de culpabilité, Cameron invite dès lors à retrouver l’innocence en remettant nos regards en question – d’où la répétition de cette simple, et pourtant si poétique, phrase « I see you » : il faut contempler Pandora, prendre le temps, savoir s’émerveiller et accepter son rythme, ses lois, pour mieux y vivre en harmonie.

La métaphore avec notre chère planète bleue n’est pas des plus subtiles, mais il faut passer outre, et apprécier la manière qu’a Cameron de la mettre en œuvre. Un plan en vision subjective lors de la prise de contrôle du corps Na’vi – qui vire à une croissance express et touchante de celui dont la redécouverte des jambes équivaut à une renaissance –, l’exploration nocturne dans la forêt où chaque plan joue de la troisième dimension (végétation luxuriante au premier plan, fourmillement de mille détails qui font de chaque cadre le prétexte à une fuite sans cesse du regard), tout est prétexte à une immersion 2.0, à un retour primitif sur la terre, à une observation de la Nature à hauteur d’hommes, donc minuscule – pour mieux comprendre à quel point sa conservation est nécessaire. Un parallèle peut aussi être dressé vers le cinéma, et plus particulièrement celui dans lequel Cameron exerce. En redéfinissant les limites, qu’il pousse vers un infini de créativité visuelle doublée d’une lecture politico-climatique simple et efficace, il réimpose le grand spectacle, le film tout public, comme vecteur d’émotion et de sens. Après tout, pour reprendre le constat initial, quel autre cinéaste, hormis donc les autres mentionnés, a su créer un environnement suscitant un tel émerveillement à chaque instant ? Il n’y a qu’à ouvrir les yeux et voir que n’importe quelle scène d’Avatar – même celle, ratée, où Cameron s’embourbe dans un ralenti sépia d’une lourdeur équivalente à son mauvais goût – vaut mieux que quinze ans de MCU. Et que dire de ce bref instant où, alors qu’elle s’apprête à tirer sur Jake Sully, Neytiri s’interrompt en observant religieusement une plante atterrir sur sa flèche, grand moment de candeur frissonnante ramenant à l’importance des signes à saisir en plein vol.

S’il convient, voire s’il est nécessaire d’écrire sur Avatar aujourd’hui, c’est donc pour croire, pour se rassurer à l’heure d’un tournant potentiel. Marvel cartonne toujours, et Disney veut faire le cador en menaçant de ne pas sortir Black Panther 2 en salles pour changer la chronologie des médias à son avantage mais, à côté, une forme de résistance semble possible ; le succès phénoménal de Top Gun : Maverick, sorte de résurrection éblouissante d’un cinéma d’action artisanal d’antan, ou les questionnements ambivalents autour du spectacle de Nope en sont la preuve. La ressortie d’Avatar n’est pas juste l’occasion d’être ébloui de nouveau, de prendre son pied. C’est aussi la possibilité d’ouvrir les yeux, de poser notre regard sur l’état du cinéma récent passé, pour mieux appréhender – et générer – celui qui arrive. Malgré l’invitation de Cameron à nous ressaisir il y a treize ans, nous avons choisi de retourner vers notre culpabilité inconsciente, érigeant le blockbuster des années 2010 comme simple produit consommable, au même titre qu’une planète qui atteint son point de non-retour. L’amalgame est facile, le constat réel. Rien ne nous dit qu’Avatar 2 sera à la hauteur de nos attentes, mais l’espoir demeure, comme un vent qui murmure que nous n’avons rien vu à Pandora, et que, cette fois-ci, il faudra bien ouvrir nos yeux.


Elie Bartin

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