Critique du film Apprendre

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Par Super Seven

le 27/03/2025

SuperSeven :


En tant que réalisatrice de documentaires, Claire Simon est une habituée des établissements scolaires. En 1993, dans Récréations, elle place sa caméra à hauteur de jeunes enfants de maternelle en pleins jeux dans leur cour. En 2018, avec Premières solitudes, elle s’intéresse aux rêves et espoirs des adolescent.e.s d’un lycée d’Ivry. Aujourd’hui, la cinéaste revient dans cette même ville pour poser son regard sur les classes primaires de l’école publique Makarenko.

À l’instar de Récréations, Claire Simon révèle l’école comme une micro-société déjà sujette à la violence, à ceci près qu’Apprendre marque une évolution dans l’encadrement de celle-ci. Il n’est plus question de regarder un groupe de jeunes garçons s’écraser les uns les autres ou choisir un bouc-émissaire sur lequel se défouler sans jamais être repris à l’ordre par les maîtresses aux airs indifférents – contrastant avec la caméra de Claire Simon qui n’omet, dans Récréations, aucune réaction des enfants. Dans ce dernier, les plans rapprochés les accompagnent dans leur ‘commissariat’ et les prennent parfois de haut, filmant littéralement au-dessus d’eux sans personne pour intervenir, lors de leur tentative de crachats sur un toboggan mais aussi les encouragent comme lors de cette scène où une petite fille incapable de sauter d’un muret finit par dépasser sa peur.

En 2024, pourtant amatrice de bagarres selon ses propres dires, Claire Simon se retrouve face à des enfants désireux de savoir et amenés à prendre conscience de leur attitude s’ils cèdent à la violence. En témoigne cette scène où le directeur de l’école raisonne un élève, que l’on devine plus qu’on ne le voit par sa quasi-absence à l’image, dans son bureau : « Tu sais parler ? Quand on parle, qu’est-ce qu’on fait ? On ne tape pas ! ». La réponse à la réprimande se fait hors-champ, soulignant l’importance des mots du directeur sur lui, prêt à modifier son attitude déplorable avant de revenir dans le cadre. La violence à l’école n’est désormais plus visible, pour ne pas dire tolérable, à l’écran, ni négligée ou réduite au rang de jeu, elle est sérieusement prise en compte et contestée par les enseignant.e.s.

Mais les enfants d’Apprendre ne sont pas pour autant prisonniers des adultes et de l’autorité. Au cœur de ce huis-clos, l’école tient lieu de refuge pour eux. Il y règne une douceur entre eux et leurs maîtres.ses : on enlace ses professeurs avant de rentrer en cours, on se pardonne et on se donne la main après une bagarre, on chante à tue-tête ‘Dommage’ de BigFlo et Oli. Simon s’attache ici aux enfants, leur laissant prendre possession des cadres en restant à leur hauteur ; les enseignants sont coupés au niveau du torse sans qu’on devine leur visage, comme des piliers sur lesquels il fait bon de se reposer. Être petit signifie ici se sentir bien, trop bien parfois, dans cette école.

Claire Simon prend le pouls de l’école primaire au point de jouer malgré elle la carte du souvenir enfoui. En restant dans les salles, on redécouvre les joies du « par cœur » des calculs mathématiques, les cours de musique où les instruments ne donnent pas que des notes justes, ou encore un cours de religions pendant lequel les enfants se charrient, sans jamais qu’aucun mot ne se place au-dessus de l’autre. Dans un effet miroir de la scène avec le directeur, la maîtresse est cette fois reléguée au hors-champ, à l’écoute ; ce sont les enfants qui enseignent et lui apprennent leur conviction – à l’intensité palpable grâce aux longs plans fixes et proches de leurs visages animés – et leur pensée sur le sujet. « Mais si tu as peur, change de religion », « Le débat est haram » : les enfants expriment leurs franches opinions, entourées des rires des autres et de leur institutrice, à propos d’un sujet pourtant houleux pour certains adultes.

Les angoisses ne sont pas pour autant évacuées comme quand, lors d’un cours de mathématiques, un jeune garçon hésite sur la réponse à donner à un problème. Son regard alterne entre son cahier posé sur son bureau et le maître, face à lui et impatient qu’il réponde dans une certaine horizontalité permise par le montage. Crayon en bouche, l’enfant tente de masquer son angoisse tandis que ses hésitations et silences augmentent péniblement la tension d’une scène que chacun.e a connu entre ses 6 et 11 ans. Un âge où l’on est désireux de tout connaître sans forcément être contredit : la moindre bonne réponse est une victoire ultime, une mauvaise est un échec cuisant.

Apprendre démontre d’une façon de voir l’école aujourd’hui comme d’un sanctuaire important à préserver, privilégiant le rapport entre élèves et enseignants de l’école Makarenko assis sur le même banc. Dans la lignée d’Être et avoir, où le maître d’école n’élève jamais la voix pour transmettre aux enfants à qui il enseigne, le film de Claire Simon dépeint une forme d’éducation et d’accompagnement des enfants presque utopique, rêvée. Chacun occupe l’espace du cadre de la même manière, sans que l’un ne se sente jamais supérieur ou inférieur à l’autre. Claire Simon privilégie des plans mobiles aussi proches des adultes que des enfants, dont le libre-arbitre ne peut exister que si le cadre éducatif ne leur en laisse l’espace.

« You and I, we’re like diamonds in the sky » entend-on résonner avant que les vacances scolaires ne démarrent. Une reprise de Rihanna aux airs de remerciements des enfants envers leurs professeurs, impliquant l’impression que l’entrain des uns ne fait qu’un avec l’engouement des autres.


Talia Gryson

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