Critique du film Anselm

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Par Super Seven

le 24/10/2023

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Il existe, comme pour les fictions, des documentaires à sujet. C’est d’ailleurs ce fameux sujet qui semble être parfois le plus important dans ce registre – la forme l’est tout autant –, où il s’agit d’appréhender le réel par un angle précis, quel qu’il soit, tout en étant guidé par l’interrogation « Pourquoi et comment filmer cela ? ». Le sujet peut également être multiple, évoluer en cours de route, au gré des découvertes ou du regard du cinéaste qui s’y attelle. Toutefois ce dernier, s’il peut tricher, ne doit pas mentir, dans le sens où il ne doit pas prendre son spectateur pour plus bête qu’il ne serait, en filmant par exemple quelque chose ou quelqu’un d’autre que lui pour en réalité se faire son propre éloge ; c’est là que la forme peut parfois trahir le fond, même avec les meilleures intentions. Wim Wenders, réalisateur ordinairement de confiance, tombe pourtant avec Anselm dans ce bien triste piège.

Sur le papier, tout donne matière à rêver : la rencontre de deux artistes – un cinéaste qui rêve d’être plasticien, et un plasticien qui rêve d’être cinéaste –, amis de longue date, autour de l’œuvre du second que le premier entend magnifier et, en un sens, réhabiliter. Anselm Kiefer est loin d’être un illustre inconnu, mais ses débuts furent certes tumultueux, ses créations provocatrices, jouant avec les codes du régime hitlérien, ce qui lui a prêté préjudice. De plus, tout commence assez bien, les grands mouvements en 3D de Wenders donnent un relief inattendu et plutôt saisissant aux sculptures étranges de Kiefer dans un climat nébuleux et charmant, comme une invitation à un voyage aux confins d’un esprit brut et doucement violent, tout en humilité. C’est ce qui transparaît un temps, comme lorsque Kiefer affronte ses propres tableaux, brûlant la toile, et ce qu’il y appose dans un geste convoquant une certaine folie, filmé avec pudeur et distance. On sent presque Wenders choqué de ce à quoi il assiste, subjugué par la radicalité de son compatriote mais aussi alerte quant au travail de la matière qui devient presque palpable, la granulosité apparente empoisonnant progressivement le cadre. La destruction devient création et l’on se prend au jeu.

Malheureusement, passés ces instants de brûlante captation, Wenders se sent pousser des ailes – celles du désir, peut-être, qu’il ne peut s’empêcher de rappeler au gré d’un plan gratuit –, et le film sur Kiefer mue progressivement en un autre, consacré à la tentative d’étalage d’une maestria en panne par un cinéaste connu pour ses élans formalistes. La réalité de Kiefer est paresseusement reléguée à un florilège d’archives télévisuelles avant de devenir purement superficielle – la 3D elle-même perd tout intérêt –, réduite à une étude psychologique qui consiste à théoriser une origine enfantine aux œuvres de l’artiste. Wenders donne tout ce qu’il a : surimpressions kitchs, reconstitutions du passé sous forme d’envolées lyriques et textes lus en voix off ; une surenchère qui finit par exaspérer tant elle ne révèle rien qui ne soit déjà perceptible au simple regard des différentes créations d’Anselm. À trop chercher à ériger son monument à côté de l’œuvre de Kiefer, elle intrinsèquement monumentale, Wenders construit en réalité un petit château de sable faussement opulent, voué à s’effacer au moindre coup de vent, dès le rideau de nouveau tombé.


Elie Bartin

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