Critique du film Amour

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Par Super Seven

le 01/10/2020

SuperSeven :

Michael Haneke, un nom qui fait frissonner rien qu’à l’entendre ou le lire. Le cinéaste autrichien, connu pour son approche traumatisante des maux quotidiens qui rongent la société, que ce soit dans « Funny Games » (1997) ou « La pianiste » (2001), sait pourtant parfois faire preuve d’émotions sincères, comme dans « Amour ». S’inspirant de son vécu, au point d’avoir fait recréer en studio l’appartement de ses parents, il propose avec ce film une véritable réflexion sur la vieillesse et l’intimité d’un couple âgé en pleine dégradation tant physique que psychologique.

Pour ce faire, il nous plonge dans le quotidien de Georges et Anne, professeurs de musique à la retraite, qui écoulent tranquillement leurs derniers jours dans leur appartement parisien. Un jour, Anne fait une attaque et finit paralysée du côté droit, suite à quoi elle fait promettre à son mari de ne plus jamais l’emmener à l’hôpital. Commence alors une aventure terrible pour le couple, marquée par l’aggravation progressive de l’état d’Anne, et la lutte de Georges pour que cette épreuve se passe au mieux.

Haneke frappe vite et fort. Dès son introduction mystérieuse, révélant un cadavre de femme, il nous cueille pour mieux nous assommer une dizaine de minutes plus tard avec la scène de l’attaque. Jouant sur un réalisme accru, et un sens du hors-champ dont il a le secret, il fait vivre l’intensité d’un tel moment, qui semble interminable. Cette violence psychologique qu’il inflige est renforcée par le choix de ses acteurs. Qui dit personnes âgées dit comédiens âgés. Emmanuelle Riva campe alors le rôle d’Anne pour une performance bouleversante et bluffante, tandis que Jean-Louis Trintignant, absent des écrans depuis près de dix ans alors, livre une interprétation des plus touchantes, toute en subtilité. Ce duo iconique, couvrant une cinquantaine d’années de l’histoire du cinéma, se greffe parfaitement dans cette horlogerie millimétrée du maestro. Car Haneke ne laisse rien au hasard. Chaque cadre suinte la précision, par les mouvements qu’il permet de voir ou ne pas voir. Il crée une ambiance qui, si elle inspire rapidement un malaise effrayant, gagne progressivement un caractère poétique happant. Si l’état de santé d’Anne nous donne envie de pleurer à chaque apparition à l’écran, que dire des preuves d’amour de Georges qui, au milieu de ce chaos à la lenteur désagréable, donnent un côté irréel, profondément sublime à l’œuvre. Comme si, en la vieillesse et les tourments qui l’accompagnent, Haneke voyait la robustesse des âmes et des sentiments face à une adversité inéluctable.

Usant du plan large fixe, il se sert parfaitement de son décor par la longueur des prises qui offrent à voir les déplacements lents et douloureux du couple, comme perdu dans ce logement immense dans lequel règne le spectre de la mort. Pourtant, bien que pesante pour nous, celle-ci est complètement acceptée par Georges comme Anne, ne voyant là qu’une péripétie ultime à leur aventure commune. Une péripétie d’une violence évidente, qui voit Trintignant reprendre des forces et se révolter à mesure que le film avance, mais pas dénuée de poésie. On pense aux scènes avec le pigeon, dont on imagine la difficulté à être tournées, ou encore à celle où Georges ré-imagine sa bien-aimée jouant du piano, comme à la belle époque. Cette dichotomie de ton, presque étonnante chez le cinéaste autrichien habitué à nous détruire frontalement sans concession, est bienvenue et donne à ce dur récit la dimension mélancolique qu’il mérite. Le malaise laisse alors place à l’émotion pure, celle qui fait mal mais qui rassure. Plus le moment fatal se rapproche, plus l’amour qui lie ces deux êtres est irréfutable et renforcé.

On se laisse donc emporter par cette funeste berceuse, visuellement éloquente et perturbante mais pleine d’une grâce unique, celle du plus beau des sentiments. Car si l’on ressort avec l’estomac retourné et les yeux embués, on est surtout témoin d’une relation magnifique, celle d’un « Amour » à la vie, à la mort.


Elie Bartin

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