Critique du film Aftersun

logo superseven

Par Super Seven

le 31/01/2023

SuperSeven :

Une caméra pour cimenter des souvenirs éphémères qui, par la même occasion, prennent tout leur sens plus tard. Voici que Charlotte Wells explore dans son premier long métrage, Aftersun : œuvre hautement personnelle et prétexte pour questionner sa relation à son père, et déceler ce qu’une mémoire d’apparence innocente peut enfouir.

C’est dans cette ambiguïté constante et ce regard quelque peu extérieur qu’Aftersun tient sa plus grande force et sa plus grande faiblesse. À l’instar du flottement de l’image numérique de la caméra embarquée durant ces vacances, Wells jette un voile sur les séquences présentées, se servant du spectateur pour comprendre des instants qu’elle n’avait pas su elle-même déchiffrer. S’instaure alors un échange, la plaçant en guide ayant à cœur de donner une certaine autonomie à ceux qui la suivent, une preuve de confiance indéniable mais non sans maladresses ; dérives pathos à l’image de l’effondrement en larmes – mais vu de dos, attention pudeur ! - du père seul dans la chambre. Wells embarrasse son récit d’instants superflus, qui atténuent la compréhension de son entreprise tout en fragilisant le lien qu’elle tisse initialement.

Ce qui est d’autant plus regrettable quand il est impossible de ne pas être intéressé par le regard si singulier, particulièrement autour de la notion de nostalgie, qui traverse Aftersun. Questionnant notre rapport à l’image et à la mémoire, Wells rapporte un quotidien assez banal, interrogeant sur ce que l’on garde réellement de notre vie passée. Un paradoxe s’impose sitôt, à l’heure actuelle où la vidéo et la capture de l’instantané règnent mais sans réussir, finalement, à conserver les souvenirs qui nous importent le plus, lesquels s’inscrivent dans la plus grande trivialité. De là, les regrets sur ce qui n’a pu être gardé, figé, et qui s’en est allé pour l’éternité… ou pas.
Le regard ici à l’œuvre est celui d’une Sophie ayant désormais 32 ans — l’âge de son père à l’époque des vidéos observées —, qui cherche (peut-être malgré elle?) ce qui fit le charme de ces vacances dans ce qu’elles ont de plus simples, oubliables : les repas, baignades, etc., d’où l’impression d’un récit en constant décalage avec son réel sujet.

Le mystère que Wells fait planer est voué à rester irrésolu, tant Sophie apprend davantage de la version numérique de son père que de l’image qu’elle en gardait avant de replonger dans les vestiges d’une époque révolue. La caméra n’apparaissant finalement pas tant que cela dans le récit, la réalité des passages entre ces interludes vidéos questionnent : serait-ce l’image que la protagoniste adulte se faisait et garde de ces moments ou bien une reconstitution de ceux-ci ? Quelques éléments de montage laissent entrevoir une réponse, avec la répétition cyclique d’un passage fort de la vie de Sophie ; un procédé par ailleurs trop appuyé, rompant violemment avec la finesse enrobante du reste.

Si l’on peut débattre de la méthode employée par la cinéaste et de ses intentions, il n’est pas question ici de dénigrer les visages du film. Paul Mescal — étrangement choisi comme père de famille trentenaire alors qu’il n’a que 26 ans — magnifie l’ambiguïté latente par la simplicité – proche d’une absence – de son jeu, et nourrit Aftersun de sa douceur et vulnérabilité pour mieux lui dicter, discrètement, sa complexité fantomatique. Quant à Frankie Corio — trouvant en Sophie jeune son premier rôle — elle surprend par l’égal qu’elle parvient à atteindre dans son duo avec Mescal, portant alors le film avec un charisme et une confiance choquants pour son âge. Un alliage qui offre une véritable immersion dans les premiers pas d’une jeune femme dans une partie charnière de sa vie, ainsi que dans les sentiments attenants, pour ensuite mieux comprendre sa version adulte — qui, bien que muette, reste totalement personnifiée et caractérisée par la performance de Frankie Corio.

Quelque part entre ces deux êtres, et le lien indéfectible qui les unit – en l’occurrence, et pour l’éternité, des images, et donc, le cinéma – Wells, sans faire preuve d’une grande maîtrise, opère un geste de cinéaste. De ceux qui marquent directement par leur sincérité, tout en laissant rêveur sur ce qui pourrait ensuite arriver. Aftersun n’est pas un film parfait, loin de là, mais il est le vecteur de grandes promesses, et ça n’est déjà pas rien !


Pierre-Alexandre Barillier

aftersun image.webp