Par Super Seven
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À l’heure où le septième art souffre d’une pandémie qui assène à toute la culture artistique un frein à son expression, il est plus important que jamais de le soutenir. Surtout lorsqu'il ose s'avancer en salles obscures, et ce, malgré le risque élevé de voir son travail non récompensé par un nombre trop faible d'entrées. C’est au milieu des nombreuses annulations, qui provoquent à nous autres cinéphiles comme aux propriétaires de salles un profond désarroi, que se profile le nouveau-né d’Albert Dupontel. À travers ses one man show et sketchs aussi novateurs qu’hilarants le comique et comédien s’était déjà démarqué par son hyper-activité quasi-contagieuse, avant de donner un coup de fouet au paysage cinématographique français en passant derrière la caméra. Au-delà de l’humour grinçant de ses longs-métrages, le réalisateur et acteur a su apporter sa propre patte au décor, donnant naissance au genre Dupontel, celui de la comédie tragico-burlesque. Après la légèreté d’un « 9 mois ferme » et la poésie fatale d’« Au revoir là-haut », le voici de retour en 2020 avec « Adieu les cons ». L’entre-deux. Consécration ou héritage épuisé ?
Un seul mot: la « justesse ». En une scène d’ouverture le jeu nous annonce le ton; cinq minutes suffisent à Albert Dupontel pour nous prouver encore cette maîtrise naturelle qu’il exerce dans la direction d'acteurs. Le duo que composent Virginie Efira (Suze) et Bouli Lanners (son médecin) est bouleversant et transpire de réalisme. Larmes à fleur de mots, silences à demi-suggérés, délicatesse et choix de l’expression, tout semble si réel que l’on regretterait presque la fugacité des dialogues. Cinq minutes pour nous faire comprendre toutefois ô combien toutes les rencontres que composeront le film nous frustreront de par leur construction éphémère. En effet, le tempérament comique du cinéaste prend trop souvent le dessus, gâchant à maintes reprises des instants que l’on pensait immuables. Ce contraste - que l’on retrouve d’ailleurs au travers de l’image du long-métrage - entre humour et tragédie, ne se marie pas forcément pour le meilleur. À touches plus modestes, le film aurait gagné en intensité.
La qualité de l’écriture est indiscutable, mais la volonté de déclencher le rire pour correspondre aux codes du burlesques - liés en grande partie au personnage de l’aveugle Monsieur Blin, incarné par Nicolas Marié - peinent à prendre sens dans une œuvre à ce point sensible. Tel Jar Jar Binks dans « Star Wars », il a l’air d’une mascotte ajoutée par le réalisateur, afin d’hurler haut et fort ce que la subtilité chanterait tout bas. Certaines « punchlines » lancées par le non-voyant sont tantôt maladroites, tantôt ratées, et sortent sans arrêt le spectateur de la trame dramatique dans laquelle il baigne depuis le début du film. Alors que Dupontel brillait dans l’humour, après s’être sublimé en goûtant à la tragédie, on est en droit de se poser la question du pourquoi il s’y attèle encore. Le rire n’a pas à être provoqué et l’humour ne doit pas forcément faire s’esclaffer, il peut même faire pleurer. Cette force majeure à laquelle nous avait habitué le réalisateur français semble là oubliée. Malgré ces quelques bavures dans les « bonnes vielles blagues de l’aveugle qui se prend un mur pour la troisième fois », en créant des personnages qui sont, tous autant qu’ils sont, aussi ridicules que touchants, l’émoi hilare et silencieux vers lequel le cinéaste nous emporte, reste sans pareil.
Mais la surprise ne se retrouve pas uniquement dans les réactions, mais aussi dans les jeux d’images. La caméra tourne, abuse de plans « amusants ». Si le terme semble pauvre pour qualifier le travail d’Alexis Kavyrchine (directeur de la photographie sur le projet), il n’y en a pourtant aucun autre pour le décrire. On s’égaye à découvrir un cinéma qui se fiche des règles, sans hésiter à en épouser certaines, bref ça joue des conventions pour mieux en abuser. Cette exagération générale, là encore fortement inspirée d’un cinéma d’hier, est à relever. Le burlesque amène à des situations absurdes. Mais « Adieu les cons » penche tant vers le réalisme qu’à chaque énormité, la trame tombe dans le conte, et l’en sortir demande constamment au spectateur de lui tendre la main, l’air de dire: « fais moi confiance, au prochain obstacle tu n’y croiras pas non plus ». Mais c’est peut-être ça, l’art Dupontel, celui de nous faire tomber, histoire de mieux nous rattraper. Et alors que l’on pensait en avoir fait le tour, la fin s’impose en dehors des sentiers battus, tout simplement épatante.
Au final, si l’on regrette son mariage avec l’humour populaire, on adore son ouverture à l’impossible. Ce subtil mélange, qui conte l’alambiqué et rit du réalisme, offre un regard finalement infantile sur un monde si absurde qu’il ressemblerait à si méprendre au nôtre. « Adieu les cons » n’est donc pas un titre, c’est une résolution.
Léo Augusto Jim Luterbacher