Critique du film L'Accident de piano

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Par Super Seven

le 14/08/2025

SuperSeven :

Fausse note

Avec Le Deuxième Acte, Quentin Dupieux abordait – non sans déception – l’hypocrisie de l’industrie cinématographique par le biais des acteurs, qui n’aiment personne sauf eux-mêmes et qui n’ont aucun talent. L’Accident de Piano poursuit cette veine misanthrope et la transpose au milieu des influenceurs réseaux sociaux. Là encore, Dupieux s’y attaque sans cacher une certaine hostilité ni remettre en question sa vision du monde complètement dépassée, voire gênante pour ne pas dire culottée.

Magaloche (superbement interprétée par Adèle Exarchopoulos) est une star d’internet en séjour à la montagne afin de se ressourcer après le mystérieux accident éponyme. Son quotidien est mis à mal quand une journaliste lui fait du chantage en disant connaître la réalité de l’incident, dans l’objectif d’obtenir la toute première interview de Magaloche. Un point de départ intrigant qui invite Dupieux à se livrer à un petit jeu inédit dans son cinéma : l’autocritique. En effet l’influenceuse n’est pas sans rappeler le cinéaste, à commencer par le parcours : des premiers courts-métrages amateurs filmés au caméscope au cinéma de grande chaîne pour le dernier contre des courtes vidéos tournées à l’appareil photo numérique jusqu’aux centaines de millions de vues du même format pour la première. Passé ce parallèle qui exposerait une vulnérabilité de l’auteur et la promesse d’un récit introspectif, L’accident de piano opte en fait pour la vulgarité à tendance obscène, à l’image des fans de Magaloche réduits à des débiles libidineux et sans fond attendant la moindre occasion pour abandonner l’artiste — un selfie dans le cas de Roméo (exaspérante caricature de beauf campagnard attribuée à Karim Leklou). Car, Dupieux montre bien qu’il n’aime personne, si ce n’est lui-même : les fans sont envahissants et méprisables, tandis que la presse — à laquelle le cinéaste refuse de parler depuis son précédent film — n’est qu’une grande sangsue bourgeoise, à en juger les nombreuses remarques de Magaloche envers la diction de Simone (Sandrine Kiberlain, convaincante), prête à tout pour son heure de gloire, quitte à mettre à mal la vie de l’intéressée. L’entourage n’est pas épargné à travers son assistant personnel Patrick (Jérôme Commandeur, belle addition au carrousel d’acteurs de Dupieux), modèle d’individualisme et de lâcheté qui réussit sur le dos des autres tout en sauvant ses miches en priorité. Le look enfantin de Magalie (appareil dentaire, coupe garçonne un peu foirée), couplé à la vulgarité et l’attitude mal-aimable du personnage, collent un miroir en face du cinéaste : il est le sale gosse du cinéma français.

Une facette exacerbée dans le troisième chapitre, qui incarne peut-être le pire de l'œuvre de Dupieux. Rejouant la folie de Jean Dujardin dans Le Daim, Magaloche se met à tuer les personnes lui causant du tort, témoins et tout ce qui passe sur son chemin. Au-delà de la facilité d’un tel dénouement — pirouette habituelle de son cinéma –, il s’agit ici d’une élimination consciente de tout ressort scénaristique pouvant trahir l’incapacité à dépasser le concept initial en se rattachant au seul fait que Magaloche est un être égoïste et abject. Se joue alors un cinéma réduit à la seule et gratuite provoc’, convoquant l’absurde et le “sidérant” pour camoufler un vide que Dupieux fuit tout en actant son détachement vis-à-vis d’acteurs ramenés au rang de cobayes remplaçables. Le fameux accident éponyme l’illustre, d’abord constamment mentionné puis seulement expliqué et montré au bout d’une cinquantaine de minutes : un piano, objet de la vidéo de Magaloche, est tombé et a tué la coiffeuse de la vidéaste, qui, de toute façon, ne voulait pas d’elle. Tout ça pour ça, un mystère en guise de produit d’appel finalement anéanti sur l’autel du nihilisme bas de gamme et de la moralisation à deux balles.

En ce sens, Dupieux s’est parfaitement caractérisé à travers Magaloche, elle qui gagne son argent grâce à sa “maladie”, un syndrome qui l’empêche de ressentir toute douleur. Elle s’inflige des peines de plus en plus grandes — on passe de l’eau bouillante sur les pieds à se faire tomber une machine à laver sur les genoux — pour augmenter sa popularité et nourrir ses fans. Un acte flemmard, en un sens, puisqu’il ne provoque rien pour la jeune femme, si ce n’est une forme d’opportunisme du personnage face aux réactions de son père regardant Jackass. Se faire mal fait rire les autres et l’influenceuse (et donc, le cinéaste) utilise ce côté morbide et individualiste propre à l’être humain – en tout cas celui de 2025 – pour surfer là-dessus sans conséquences directes (du moins, pas dans la diégèse que le film nous offre). L’image du cinéma de Dupieux devient le sujet de son film : un corps, objet physique présent et « personnifié », mais dénué de tout fond ou sentiment. Faire un film pour faire un film, sous couvert d’un sujet de société que le cinéaste méprise (ici les influenceurs et les “sensations web”). Au rythme d’une sortie par an au minimum, ce qu’il a à dire d’intéressant se retrouve très vite noyé dans le planning de production infernal qu’il s’inflige autant à lui qu’aux spectateurs.

À l’instar des affiches géantes de Magaloche dans son logement, qu’elle-même contemple en long, en large et en travers, Quentin Dupieux est devenu — ou en tout cas, le montre davantage aujourd’hui — un cinéaste qui se contente de regarder son nombril depuis que ses films rencontrent un plus large succès public et critique. Un resserrement de point de vue qui laisse perplexe quant à ce qu’il cherche à nous apprendre sur la société au gré de ce qui est qualifié de “satire absurde et acerbe”. Où est passée la mélancolie propre à Incroyable mais vrai ou Fumer fait tousser, tous deux sortis il y a à peine trois ans ? Le cinéaste se complait à surfer sur l’image qu’on lui a collée quelques films auparavant, celle d’un aigri à part, tant soit peu qu’elle lui soit profitable. Concluons sur l’ouverture de L’Accident de Piano, où Magaloche dit à une corneille, qu’elle a malencontreusement tué, de se réincarner en quelque chose de plus intéressant qu’un oiseau – énième preuve de l’égoïsme et du manque d’empathie du personnage. C’est tout le bien que l’on souhaite également à l’auteur : de s’envoler loin de cette image régressive de boomer hors-sol.


Pierre-Alexandre BARILLIER

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