Critique du film À la folie

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Par Super Seven

le 15/05/2023

SuperSeven :


À l’aube de la première venue en Compétition Cannoise — avec Jeunesse (Printemps), premier volet d’une virée au cœur du milieu textile —, il apparaît important de (re)découvrir l’œuvre de Wang Bing, avec A la folie. Un documentaire, fort de ses 228 minutes — un moyen-métrage pour le cinéaste, finalement — et tourné pendant trois mois, qui s’inscrit comme une immersion au cœur d’un hôpital psychiatrique de la province du sud-ouest Yunann.

Loin d’une dissection de la folie classique, la caméra se rend compagnonne des patients. Le geste relève moins de la dénonciation que de l’observation pure, avec peu d’explication mais un accompagnement physique et impartial du quotidien de ces chambres où sont enfermés de force de nombreuses personnes. L’Humain ne peut toutefois pas s’empêcher de reprendre le dessus : comment rester impartial face à de telles images — des détenus obligés de pisser dans les coins des chambres ou des couloirs, un attroupement semblable à la file d’attente d’un abattoir pour simplement pouvoir manger, ... ? Mais l’intelligence du dispositif vient en grande partie du montage jouant de suggestion et non de monstration des événements.
Dès lors, cet assemblage d’images opère une plongée au cœur des enjeux d’un tel sujet. La caméra prend progressivement des atours spectraux pour mieux invisibiliser l’audience, voire la déshumaniser. Une approche qui génère une unification des patients, peu importe la « faute » commise, au déficit de leur identité propre. Les proches et médecins sont à peine montrés et les protagonistes, alors parqués dans de petites chambres, se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils parlent peu, ne fixent jamais la caméra — pour refuser, en un sens, la compréhension de leur vie —, tout en contemplant d’un regard vitreux la lente désincarnation qui les attend.

Là où la sortie d’un interné a tout de la conclusion idéale, A la folie révèle, au détour de dialogues familiaux, le fardeau psychologique et financier — d’autant que l’internement n’est que très rarement une décision des proches — qu’est le patient. De ce contraste flagrant apparaît la pauvreté de la Chine rurale. L’abandon total des patients par la hiérarchie, qui laissait suggérer gratuité de la détention, est en réalité un coût financier et humain considérable, matérialisé par ce patient déambulant sans but le long d’une route, sans aucune présence autre que corporelle.

Ce geste de Wang Bing trouve un écho avec Madame Fang (2017), observation des derniers jours d’une femme immobilisée par la maladie d’Alzheimer, simplement entourée de ses proches. La façade impartiale de son cinéma, du moins on n’y voit rarement autre chose que le quotidien de différents patients, n’enlève pas tout caractère politique à la démarche, au contraire : comment peut-on laisser faire cela ? À La Folie pourrait finalement être ainsi résumé : l’humanisation de ces/ses déshumanisés. Dans ses ultimes secondes, deux des patients regardent furtivement, et ce pour la première fois, la caméra de Wang Bing. Une ouverture au monde pour eux, l’éveil de la conscience pour nous.


Pierre-Alexandre Barillier

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