Retour sur la Trilogie d'Oslo

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Par Super Seven

le 11/07/2025

Entamée et conclue – de la plus belle des façons, l’Ours d’Or pour Rêves ! – à la Berlinale entre 2024 et 2025, le triptyque Désir / Rêves / Amour (ou Trilogie d’Oslo en France) de Dag Johan Haugerud a fait de son cinéaste une nouvelle voix reconnaissable à l’international. Sans être liés narrativement, ces trois films partagent des thématiques bien communes dont l’une est tout simplement l’amour.

Il y prend différentes formes : deux ramoneurs de cheminées mariés (Désir), le premier amour non-réciproque d’une adolescente (Rêves) et les mésaventures d’un homme gay allant de conquête en conquete, couplé à la naissance d’une relation entre une femme et l’un de ses amis (Amour). Pour autant le(s) sentiment(s) s’exprime(nt) dans des récits bavards – ceux-ci n’étant (quasi) exclusivement que des discussions entre des personnages – dans des lieux qu’Haugerud dépeint très bien : le bateau en tant que sas et confessionnal ou la “terrasse” atypique dans Amour, les escaliers et la maison de Rêves, les lieux de travail et l’appartement de Désir. La parole rebondit dans ces espaces et il s’agit pour Haugerud de la saisir dans toute son amplitude. Sa caméra tourne légèrement autour des personnages dès qu’ils sont au moins trois mais ne les suit pas toujours dans leurs déplacements ; parfois ceux-ci se lèvent et le cadre les laisse à moitié coupés. Ce rapport à la durée des échanges s’incarne également dans les zooms/dézooms (parfois couplés au panoramique), notamment dans Désir – il ouvre et conclut le film –, pour scruter dans le même plan l’environnement et la personnalité d’une famille, que l’on comprend tendre et bordélique par ce que le décor dit d’eux (casseroles laissées sur les plaques, petites figurines amusantes, photos de famille).
La parole parvient toutefois à s’échapper et c’est là qu’intervient Oslo et ses alentours : de jour dans Désir où la longue focale écrasante ancre le personnage dans les murs de la ville ; de nuit dans Amour où les habitations projettent la lumière qui éclaire les personnages ; ou bien l’ouverture sur le monde concluant Rêves, métaphore (pas très fine) de ce qu’il reste à vivre… L’ensemble est toujours ludique alors même que les sujets de conversation sont parfois vains (la jalousie autour d’un livre) et c’est là que la comédie de l’écriture d’Haugerud prend tout son charme. Le meilleur exemple reste celui de Rêves, où la mère et la grand-mère de Johanne commencent à parler du livre de cette dernière lors d’une balade en forêt, entre naissance de jalousie de l'aïeule poétesse en manque d’inspiration et vieille rancoeur filiale qui amène un parallèle entre Flashdance et le nazisme.

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Qu’elle soit parfois cruelle et/ou moqueuse, la comédie ne prend pourtant jamais le pas sur l’empathie que le réalisateur projette sur ses personnages. Dans Désir, le constat de départ (un homme a couché avec un autre homme mais ne se pense pas gay) sonne comme le début d’une blague – la femme est offusquée, son patron et son épouse le pensent réellement gay – mais n’est en fait qu’un commencement vers la douce analyse qu’Haugerud fait des relations humaines et de ce que cette conversation à plusieurs (la majorité de cette trilogie) renvoie au spectateur. Ce sont les confrontations de pensées qui créent la discussion dont la longueur impose à chacun de savoir écouter, de réfléchir à ce qui est dit par l’autre et comment l’interpréter. Ici, cela prend la forme d’une réplique du patron (“d’être regardé sans attentes de l’autre, ça fait du bien”) en réaction aux doutes de son employé quant à son identité et sa possible homosexualité,
Dans Amour, c’est lorsqu’une relation purement sexuelle se transforme en quelque chose de plus platonique, voire serviable, quand Tor (infirmier dans un centre “prostatique”) aide doublement un ancien partenaire, d’une part à réfléchir sa vie après qu’il se soit fait enlever la prostate mais aussi littéralement en accomplissant quelques tâches journalières (courses, ménage…). Au gré de ces moments partagés, les discussions s’enchaînent et permettent à tous de se libérer et de parler de leurs peurs (ici, le SIDA et l’engagement). C’est effectivement quelque chose de simple – amener sur différents sujets et faire réfléchir par la discussion – mais qui ne garantit pas de réussir, à moins de très bien écrire ses dialogues, l’une des forces de Désir, Rêves & Amour.

Preuve d’une qualité d’écriture, la trilogie (où chaque film dure deux heures) capte l’attention du spectateur, souvent par le même schéma, alternant comédie et drame autour de ces échanges avant de briser le rythme par une scène plus frontalement comique (mais toujours porté par le dialogue, à l’image de la discussion entre la grand-mère et son éditrice qui finit par le récit du fantasme d’un Jésus suédois nu pour la première) pour ensuite revenir aux sujets centraux. Rêves semble être le plus narratif de tous, convoquant la pensée de Johanne en off qui narre le livre qu’elle a écrit – et donc tous les événements du film – et continue après sa publication. Avec cela, l’Ours d’Or est finalement logique, porteur d’un cinéaste en émergence et d’un cinéma norvégien revenant sur le devant de la scène internationale, en témoigne le Grand Prix obtenu par son compatriote Joachim Trier à Cannes.


Pierre-Alexandre Barillier


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