Robert Altman l'incorrigible

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Par Super Seven

le 12/11/2023


A l’image de son parcours durant le Nouvel Hollywood, le nom de Robert Altman n’est pas le premier qui vient en tête pour aborder cette période – qui plus est quand bon nombre de ses films restent aujourd’hui difficiles d’accès par manque de copies, de distributeurs, d’édition physique…

Les quarante ans de carrière de l’américain relèvent presque du miracle : sa Palme d’or M*A*S*H demeure l’un de ses seuls films rentables au box office, bien qu'étant l'un de ses premiers faits d'armes. Suite à ce succès prometteur, Altman essuie année après année les échecs commerciaux, les critiques acerbes du grand public, et celles pas bien plus convaincues de la presse, mais trace sans fléchir sa route de marginal et d’incompris.
Deux tiers seulement de ses longs métrages ont bénéficié d’une sortie française au moment de leur production ; d'où la joie de retrouver à l’affiche du dernier Festival Lumière douze de ceux-ci dans une rétrospective intitulée “Robert Altman : Le Grand Cirque”. La liste permettait de retrouver exhaustivement M*A*S*H, John McCabe, Le Privé, Nous sommes tous des voleurs, Nashville, Buffalo Bill et les indiens, Trois Femmes, The Player, Short Cuts, Kansas City, Cookie’s Fortune et Gosford Park.

Face à son œuvre, une question se pose: comment expliquer cet amour vache pour un réalisateur dont les affiches font régulièrement figurer une liste interminable de grands noms d’Hollywood ?
Revenons au commencement. Altman est un autodidacte, sans aucune formation en cinéma, mais il rêve de ce milieu durant son service au sein des forces de l’armée de l’air Américaine. Il combat pendant la seconde guerre mondiale, ce qui amène chez lui deux motivations contradictoires : un profond dégoût pour les institutions et un penchant pour le cynisme, mais aussi une volonté de réussir dans le domaine rêvé, à tout prix. Il commence par réaliser de nombreux films institutionnels, se pliant un temps aux exigences des compagnies, mais son esprit rebelle reprend rapidement le dessus et le pousse à quitter ce milieu.
Ce point historique n'a pas pour seul but d'informer ; il permet aussi de donner un point de départ à ce qui devient par la suite la sève de son cinéma – l’impertinence et le contre courant – ainsi que d’expliquer ses rapports difficiles avec les producteurs ne lui laissant pas la liberté artistique désirée.

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M*A*S*H, palme d'or 1970

Réfléchissons alors à notre sélection – restreinte –, pour essayer d’en comprendre le titre. “Le Grand Cirque” donne le sentiment de quelque chose d’éclaté, d’un enchaînement de numéros en fanfare pour en mettre plein les yeux, tout en gardant un air désinvolte. Il y a bien sûr de tout cela dans le cinéma d’Altman, qui vogue entre de nombreux genres (film de guerre, western, néo-noir, thriller, film de braquage, film historique …), mais ce qui frappe en croisant les œuvres, c’est ce numéro d’équilibriste pour toujours prendre les codes établis à revers.

On dit de M*A*S*H, sans doute le plus connu du lot, qu’il est “un film de guerre sans guerre”. Cette brillante idée permet de mettre au premier plan la psyché de ses personnages et de relayer au second la hiérarchie qu’il méprise tant ; un schéma modelable et applicable à la quasi entièreté du reste de son œuvre. Le Privé est une d’enquête dont la résolution du mystère n’a pas d’intérêt ; Nous sommes tous des voleurs un film de braquage qui s’intéresse plus à la planque et la vie quotidienne entre les hold-up qu’à ces derniers ; Nashville une comédie musicale qui n’en est pas vraiment une ; dans Buffalo Bill et les indiens la dimension “western” n’est en fait qu’un spectacle pour amuser le public et gagner de l’argent, réduisant l’icône éponyme à un acteur mégalo et alcoolique…
D’ailleurs plus ou moins explicite, le rapport d’Altman à l’industrie cinématographique traverse son œuvre, qui témoigne d’un mépris profond pour les dirigeants, les industriels, et, en somme, toutes les personnes dont l’activité principale consiste à s’enrichir. L’exemple le plus frappant est évidemment The Player, plongée directe dans les tréfonds d’Hollywood avec Tim Robbins en producteur véreux, révélant tout le bien que pense de ce milieu celui qui a fini par fonder sa propre société de production pour garder sa liberté de mise en scène, au dépit du profit.
A l’image du Player, les personnages altmaniens ne sont jamais des figures héroïques, bien au contraire. Ce sont souvent des marginaux, des losers, qui malgré des motivations quelques fois pures gardent une forme de grossièreté (on pense au gras des personnages de M*A*S*H), ou bien finissent par renoncer à leur principes – s’ils en ont jamais eu –, à l’instar de Philippe Marlowe dans Le Privé.

Si les acteurs donnent vie à cette galerie d'anti-héros, c'est notamment grâce à la maîtrise d'Altman du “film choral”. Certes, certaines figures fortes se dégagent de son oeuvre, mais il possède la faculté rare de parvenir à soutenir un rythme égal sur des récits hyper-fragmentés, où l’on ne sait pas très bien à quel personnage s’attacher, ceux-ci laissant rapidement place à l’écran à une nouvelle tête. La sélection lyonnaise permettait ainsi de recontempler Nashville, Short Cuts ou encore Gosford Park qui reposent sur cette multiplicité d’individus qui peut parfois faire tourner la tête, mais offre aussi des dynamiques inter-personnages subtiles et drôles. Tout est affaire de fluidité, laquelle relève d'un sens du montage capable de croiser en esprits le destin de personnages qui parfois ne se croisent jamais à l’écran.
Après avoir (re)vu tout ça, la filiation avec Paul Thomas Anderson (admirateur et admiré d’Altman) apparaît comme évidente, celui-ci parvenant une génération plus tard à reprendre cette utilisation d’une ironie cruelle sur le monde au travers de nombreux personnages pathétiques. Une différence demeure toutefois : le cinéma de PTA est teinté d’espoir alors que celui d’Altman tend au nihilisme, sa vision sombre du monde n'étant jamais loin derrière ses sarcasmes.

Plus qu'un clown, Atlman apparaît comme un éternel révolté avec qui personne ne veut faire la révolution, mais dont on se souvient pour sa franchise et dont on admire le refus de se trahir.


Pauline Jannon


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Short Cuts (1993)