L'impitoyable lune de miel ! & Les mutants de l'espace : l'animation PEGI-16 à la Plympton

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Par Super Seven

le 15/03/2023

À l’ombre des grands studios d’animation – Disney, Pixar, Dreamworks et l’on en passe –, agit un étrange artiste pour qui cet art n’est pas réservé aux enfants. En effet, Bill Plympton n’a du saint que l’aura et clairement pas la pureté. Ses films, malheureusement trop méconnus chez nous malgré de nombreuses récompenses à Annecy, sont des condensés de sexe, violence et autres joyeusetés, dans un style unique par son anachronisme assumé et sa liberté fièrement revendiquée. C’est pourquoi il nous est impossible de ne pas célébrer la ressortie de deux de ses premiers grands et hilarants faits d’armes que sont L’impitoyable lune de miel ! (1997) et Les mutants de l’espace (2001) par ED Distribution – en attendant la sortie du prochain, Slide, cette année on l’espère –, diptyque improvisé mais loin d’être farfelu.

Suivant The Tune (1992), son premier long métrage d’animation, ils sont surtout la maturation d’un projet de longue date qui trouve sa sève dans la quantité astronomique de courts réalisés par Plympton depuis 1984 ; Your Face, évidemment, mais aussi How to kiss, Push comes to shove, Sex & Violence ou encore le fameux How to make love to a woman, ici directement cité dans L’impitoyable lune de miel !. Non pas que toutes ces réalisations soient nécessaires pour apprécier correctement les deux qui nous intéressent, mais elles permettent de comprendre ce qui a mené à cette explosion paroxystique plymptonienne. Ce qui, semble-t-il, guide l’œuvre est une envie de provocation – Plympton a notamment illustré des numéros de Penthouse ou Playboy –, doublée d’une sincérité d’éternel adolescent confrontant un regard d’adulte. Ce faisant, Plympton cultive une certaine poésie de l’excès, à travers un humour pipi-caca-kiki-foufoune poussé si loin en termes de créativité que son absurdité emporte. Il n’y a qu’à s’arrêter sur les cinq premières minutes de L’impitoyable lune de miel ! et ses deux scènes de sexe : d’abord, celle étrangement mignonne entre oiseaux qui provoque la mutation du mari, puis, celle des jeunes mariés ou plutôt tout ce qui la précède, avec de subtiles métaphores du coït qui vont d’un doigt dans l’oreille à une machine comptable dont le papier gicle dans la maison, en passant par une calculatrice qui pousse au vice. Bref, chez Plympton on baise, mais on baise avec folie.

De là, apparaît ce qui fait le sel de ce film, sorte de récit en écriture automatique au gré des délires crayonnés d’un auteur en pleine maîtrise de ses moyens. La combinaison du crayon de couleur aux celluloïds peints – car Plympton refuse de tomber sous le joug de l’informatique, contrairement à ses contemporains – permet de dresser cette grande caricature de l’american way of life, entre beaux-parents oppressants, banlieue pavillonnaire ennuyeuse et diktat de la société du spectacle qui fricote avec l’armée. Cette piraterie d’un double système – l’industrie de l’animation et la société – traduit la teneur politique d’un cinéaste qui échappe à toute étiquette ; il tape sur tout et tout le monde, avec un amusement enfantin qui camoufle un regard plus acerbe qu’il n’y paraît. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si l’œuvre de Plympton vit aujourd’hui principalement grâce à Internet, tant il a, inconsciemment, embrassé la puissance underground des débuts du réseau de communication, touchant de fait toutes les jeunes générations. Surtout, L’impitoyable lune de miel ! impressionne par la fluidité de son trait brut qui dessine un scénario quasi invisible – et, finalement, qui n’a nul besoin d’exister davantage – à l’ampleur évidente. Célébration chaotique du fantasme comme libération de l’Homme d’un monde cloisonnant, il s’agit là d’une expression des plus pures de la force du médium animation pour retranscrire une forme de réel par l’exagération tant chaque idée est palpable, révèle une émotion prégnante et puissante.

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Une intention poussée plus loin encore avec Les mutants de l’espace, version « plus sage » car plus classiquement aboutie des réflexions déjà amorcées mais qui ne perd pas de sa superbe, au contraire. Ici, un astronaute est piégé par son supérieur et abandonné en orbite pendant de nombreuses années. Plus tard, il revient avec des créatures étranges venues de l’espace et décide de se venger. Un postulat assez simple, mais qui offre à Plympton le loisir de se moquer un peu plus des institutions. La satire a quelque chose de différent, prenant d’emblée la forme télévisuelle pour mieux en montrer le ridicule et questionner l’image même, son sens, sa pertinence quand elle s’inscrit dans une velléité purement commerciale ; le reportage du début, lors de l’attaque extraterrestre durant laquelle on force la journaliste à rester sur place n’est pas sans rappeler l’ironie de De Palma dans Snake Eyes avec la reporter contrainte de rester au cœur d’une tempête en l’honneur du sacro-saint audimat. Ce qui suit change radicalement de registre avec la reprise de contrôle et de point de vue de Plympton pour un résultat saisissant de beauté ; les plans étoilés où se greffe, par la magie du collage, le vaisseau spatial sont à tomber par terre. Aussi, la Terre des Mutants de l’espace semble sortir des confins de la galaxie, mais nous semble familière par une touche impressionniste faite main qui renvoie à un imaginaire culturel évident, sans négliger les références SF finement digérées – il y a là quelque chose de Mel Brooks – qui parsèment cette fable écologique terriblement d’actualité. L’humour est aussi cinglant qu’à l’accoutumée, le propos plus tenu que jamais et le style d’une richesse incontestable. Avec ces deux films, Plympton rappelle que l’animation n’est pas réservée aux enfants, mais plus encore, il en fait un vecteur de politisation accessible par son ton singulier. Tout cinéaste irrévérencieux qu’il est, sa vitalité rafraîchissante et encourageante sont définitivement à saluer, comme son œuvre, paradoxalement aussi éreintante que revigorante, profondément jouissive.


Elie Bartin


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