Mostra 2024 #4 : The Brutalist, rêve de grandeur

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Par Super Seven

le 05/10/2024

Annoncé comme le plus gros morceau de la compétition vénitienne 2024, The Brutalist – et ses 215 minutes, avec entracte, sans oublier les projections en 70mm – a été à la hauteur de sa réputation. Il faut dire que Brady Corbet, dont c’est le troisième film pour autant de sélections à la Mostra, fait un sacré coup en glanant un Lion d’Argent du meilleur réalisateur – bien que beaucoup lui prédisaient celui d’Or – avec une œuvre aussi radicale.
Après Vox Lux et son ambitieux – mais maladroit – récit à deux temporalités, place à une grande fresque étirée sur trente ans, dans la lignée d’Il était une fois en Amérique ou encore Guerre et Paix dont il remet le VistaVision au goût du jour, pour raconter le parcours d’un architecte hongrois rescapé de l’Holocauste. Il faut se laisser aller mystérieusement avec László Tóth (Adrian Brody, meilleur que jamais) dans le (très) long « tunnel » horrifique qui l’amène aux États-Unis. D’emblée Corbet se veut sensoriel, entre une obscurité profonde – renforcée par le gonflage du 35mm en 70 – qui enveloppe et angoisse, fait perdre tout repère visuel, et un travail sonore perturbant (un mélange de fortes percussions et de cris) auquel s’associe la bande originale de Daniel Blumberg, aussi triomphante qu’inquiétante. Il s’agit de créer des contrastes pour mieux les creuser, en témoigne une photographie qui tend du terne au coloré pour illustrer l’inégalité qui fait rage entre László et ses riches clients ; par exemple, dans une scène de carrière charbonneuse où tout est gris, le manteau marron de Harrison Lee Van Buren (exceptionnel Guy Pearce) enflamme le cadre tandis que Toth se fond dans le décor avec sa veste verdâtre.
The Brutalist baigne donc dans une ambiance pesante, non dénuée d’humour, pour mieux donner corps à sa structure : une ouverture suivie du premier acte – consacré à l’escalade de l’échelle sociale de László –, entracte puis second acte – sur les dures retrouvailles avec sa famille – conclu par un épilogue. Un squelette aussi imposant que « casse-gueule » pour une dissection en grandeur du rêve américain.

C’est dans ce pays de la démesure — on y rentre d’ailleurs par un plan à l’envers de la Statue de la Liberté — que László galère à trouver de quoi (sur)vivre et tente de nourrir l’espoir que sa famille le rejoigne pour une vie parfaite (mais modeste), tout en réduisant son ambition de redevenir l’architecte renommé qu’il était en Hongrie (formé à la Bauhaus) car il se contente de simples travaux durs et alimentaires. C’est là qu’intervient le multi-millionaire Harrison Lee Van Buren pour l’embrigader dans un projet plus grand que lui, voué à l’occuper le reste de sa vie et dans lequel vont se noyer sa foi (juive), son argent — pour accomplir sa vision, il doit y mettre ses fonds propres — et ses relations familiales. Les retrouvailles longtemps fantasmées s’avèrent plus délicates que prévues lors de leur concrétisation – à la fin de l’entracte, sa femme et sa nièce sont enfin en Amérique – tant László ne peut se départir d’une certaine culpabilité. D’une part du fait de s’être éloigné — géographiquement, physiquement… — d’elles et de les retrouver profondément marquées par ce pays qu’il a quitté, puis parce qu’il sait ne pas pouvoir les intégrer au paysage de sa nouvelle vie. Confronté à un passé familial fort (la guerre et la Shoah) et aux traumas qui l’accompagnent, sa seule échappatoire est son travail à savoir la commande – non sans ironie – d’un mémorial à construire, voué à perdurer après sa mort ; comme Lee Van Buren le dit : « une œuvre qui conjugue le passé, le présent et le futur ». Ce qui importe, chez Corbet, c’est la destination et non le voyage comme le rappelle l’épilogue. Une manière de faire écho à l’échec de Vox Lux qui l’a forcé à consacrer sept ans au modelage de sa nouvelle vision. Ce nouveau pas sans concession n'est pas sans rappeler — à quelques différences de budget près — un certain Megalopolis. Deux auteurs jusqu’au-boutistes de retour avec deux projets inattendus voire inespérés : Corbet s’inscrit dans la lignée des héritiers d’un certain style seventies tandis que Coppola convoque toute l’histoire du cinéma pour transcender son époque. Dans une année plutôt faible (du moins aux compétitions de grands festivals décevantes), The Brutalist et Megalopolis maintiennent l’illusion, chacun à leur manière, que le cinéma est « en grande forme » comme le disait la Présidente du jury, Isabelle Huppert, à qui l’on ne peut donner tort sur ce coup-là.


Pierre-Alexandre Barillier


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The Brutalist, dans les salles françaises en février 2025 (Universal).