​​​​Mostra 2024 #1 : Venise sur ses grands chevaux

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Par Super Seven

le 03/09/2024

La 81e Mostra de Cinéma de Venise a débuté quelques deux jours maintenant, avec assez de projections pour relever quelques surprises et les (trop) nombreuses déceptions.
En bon habitué du festival, Pablo Larrain rejoint de nouveau la compétition (après Jackie en 2017, Ema en 2019, Spencer en 2021 et Le Comte en 2023) avec un nouveau biopic — mais en fait pas trop — cette fois-ci sur la cantatrice Maria Callas. Si le sujet lui permet de continuer de faire évoluer sa caméra au sein de grands intérieurs bourgeois qui engloutissent la protagoniste et révèlent ses blessures intimes, Maria souffre des mêmes défauts que ses précédentes œuvres, voire les exacerbe. Tout est prétexte à accumuler les fioritures à base de changements de formats ou de colorimétrie. Le ton est donné dès la scène d’ouverture qui mélange des images en 8mm, 16mm et numérique, un gros plan face caméra en noir et blanc avant d’autres à la grue dans des opéras, et ainsi de suite. De quoi irriter d’emblée mais peut-être qu’il ne s’agit que d’une entrée en matière. Sauf que non, Larrain ne s’arrête pas là et multiplie les effets voués à contempler la psyché torturée de son sujet en se vautrant dans le surplus de kitsch, par un décalage peut-être voulu avec l’image bourgeoise de l’opéra mais qui ne fonctionne jamais puisqu’il se complait dans une posture nostalgique à l’image des nombreuses séquences orchestrales à la gloire passée de l’artiste. Il n’y a qu’à voir comment il appuie sur le fait que « La Callas », sur le parvis du Trocadéro, hallucine les éléments qui la rattachent à son passé (au cas où on ne l’aurait pas compris dans les dix premières minutes) : gros plans en longue focale sur le regard perdu d’Angelina Jolie, cadrages au steadycam sur la tour Eiffel avec un orchestre au premier plan et flashbacks de sa vie au sommet. Des procédés qui reviennent à chaque nouvelle scène (plutôt tentative) de chant, ou bien lors de ses balades urbaines dignes d’un épisode d’Emily in Paris dans sa manière de réduire Paris à ses lieux touristiques vus à travers un filtre jaunasse et saturé sauce Netflix. Se pensant Terrence Malick aux heures de sa trilogie de la contemplation, Larrain ne réalise qu’un vulgaire spot publicitaire de parfum de plus de deux heures. Contrairement à Spencer qui compense ses faiblesses par quelques moments de pure émotion entre Diana (incarnée par une Kristen Stewart bien plus habitée que Jolie) et ses enfants, ou Le Comte par l’absurdité enthousiasmante du récit, rien ne rattrape la balourdise de Maria, pas même Pierfrancesco Favino et Alba Rohrwacher qui se démènent comme il peuvent pour donner un peu de consistance à leurs personnages, tristes silhouettes de cire qui rejoignent la longue liste des négligés du musée Larrain.

Toujours en compétition, Luis Ortega peut se voir appliquer certains reproches similaires pour Kill the jockey, drame absurde dans lequel Nahuel Pérez Biscayart incarne un jockey transgenre polytoxicomane. C’est toute une galerie de personnages loufoques qui nous est d’abord présentée dans une première partie avare en dialogues, réussissant toutefois à retenir notre attention par la manière de mettre en place un milieu restrictif et oppressant. C’est, par exemple, le couloir qui précède l’hippodrome, qui revient à plusieurs reprises avec d’intéressantes variations avec l’évolution du personnage (une pause devant la figure de la vierge, un regard caméra, un rythme plus accéléré, tant d’éléments traduisant la tension croissante et l’enjeu dépassant totalement la simple course), ou encore le box équin dans lequel le jeune couple passe la nuit pour que Remo (le jockey) ne consomme aucune substance. La question de sa transidentité prend la forme d’un basculement cathartique tout en fluidité et sobriété du personnage vers une libération de ses patrons abusifs autant que de ses démons passés en prenant peu à peu des attributs féminins (un vêtement volé, une palette de maquillage trouvée) avant de retrouver son vrai prénom.
Il s’agit toutefois du calme avant la tempête puisqu’Ortega vire ensuite à l’excès de style, entre des interludes musicales répétées et des éléments irrationnels qui s’accumulent gratuitement jusqu’à l’aberration – Remo se met soudainement à marcher au plafond. Ce loufoque ad nauseam, uniquement destiné à créer la surprise et à accrocher le spectateur, génère surtout une confusion qui fait perdre son souffle à l’entreprise cavalière d’Ortega dont on finit par attendre, impatient, qu’elle franchisse la ligne d’arrivée.

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Kill the jockey - Luis Ortega

Heureusement, en s’aventurant dans les sélections parallèles, nous trouvons toujours de quoi éclairer notre journée. Hasard de la programmation, les Giornate degli autori (équivalent vénitien de la Quinzaine des cinéastes à Cannes) propose elle aussi un film sur un cavalier. Après deux boursouflures sud-américaines, To kill a mongolian horse s’impose comme un retour à la simplicité avec un drame social et familial sur un homme qui cherche à maintenir un équilibre fragile entre son amour pour ses chevaux, son travail d’acrobate et sa famille dysfonctionnelle. Xiaoxuan Jiang ancre son récit dans les immenses plaines mongoles, usant d’une approche naturaliste – caméra portée à l’épaule –, pour laisser évoluer, égaux, hommes et animaux au sein de ces étendues. Après les couchers de soleil, place à la nuit pour des soirées de spectacles équestres où l’ambiance sonore et lumineuse artificielle reste sujette à la contemplation, grâce à une caméra au plus proche des corps et qui ne s’attarde jamais sur le prodige des figures pour préférer la relation entre le cavalier et sa monture. Inévitablement, les traditions sont menacées par l’urbanisme croissant jusqu’à ce que la ville semble la seule issue à ces espaces infinis. La simplicité évoquée est ainsi interrompue par l’apparition brutale d’une séquence filmée au drone lorsque des promoteurs chinois viennent évaluer la surface exploitable. Un point de non retour pour le protagoniste, condamné à jouer de son folklore dans des attractions pour touristes qui malmènent les chevaux pour aller un peu plus vite.


Pauline Jannon


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To kill a mongolian horse - Xiaoxuan Jiang