Venise 2023 #1 - Pizza, Sugar e Patata

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Par Super Seven

le 07/09/2023

Enfin exporté sur la belle île du Lido à Venise, Super Seven a commencé fort. Fort en films, fort en fatigue et fort en frustration. Première direction : Palazzò del Cinema pour récupérer les accréditations. Mais pour pouvoir assister à la première séance, à 8h30, il fallait être là tôt… très tôt. 7h20, sur place, 8h02 badge récupéré et 8h30, les moteurs de la Mostra vrombissaient, d’attente et d’excitation à l’idée du gros morceau d’entrée : Ferrari de Michael Mann. Une découverte que nous avons déjà couvert plus en détails, mais surtout un démarrage sur les chapeaux de roue.

Car à peine la belle course de 130 minutes de Mann finie, il fallait refaire le plein. Une pizza Prosciutto e Funghi mangée — engloutie plutôt, soyons honnête —, et place à un autre morceau de la compétition vénitienne : Bastarden de Nikolaj Arcel. Clairement moins d’attente ici, seulement une certaine dose de curiosité, mais une douche froide à l’arrivée. Porté par un Mads Mikkelsen fidèle à lui-même (visage souvent stoïque, peu d’émotions et qui se contente d’être là), incarnant le véritable Ludvig (von) Kahlen, Bastarden souffre d’une ambition réduite à un classicisme bas de gamme et peu inspiré, pour un résultat soigné digne du téléfilm CinéDimanche de la Rai Télévision. De cette histoire de terre du roi à fertiliser pour y faire pousser on ne sait quoi— un mystère à la résolution ridicule qui occupe pourtant la moitié du récit —, l’engrais ne prend jamais. Ce n’est pas faute d’essayer avec des tentatives – pauvres et pathétiques – de convocation du souvenir de Game of Thrones, notamment à travers un méchant à l’interprétation gamine et caricaturale, qui finissent de cimenter l’avis que l’on se fait : Arcel pense nous mettre une patate avec cet ancien militaire devenu marchand de pommes de terre, mais elle s’esquive sans grande difficulté.

Heureusement, pour se consoler des féculents, vient le dessert de la première salve avec la sucrerie The Wonderful Story of Henry Sugar de Wes Anderson. Une petite friandise de 39 minutes qui, pour les festivaliers, était bienvenue après dix heures de projections folles, intenses et particulièrement épuisantes (et ce n’est QUE le premier jour…). Henry Sugar s’inscrit dans la tournure expérimentale que le cinéma de Wes Anderson prend depuis le début de la décennie et montre que, s’il peut lasser certains, il ne cesse de se renouveler un tant soit peu. Il opte ici pour une sorte de production « instantanée », faite sur le vif, à la manière des représentations théâtrales amatrices : les acteurs récitent les didascalies face au public — à la caméra, le décor change et arrive sur des roulettes, les personnages, les environs et la mise en scène jouent de l’hors-champ. Anderson s’amuse beaucoup, ça se voit et il se permet même de parler de son cinéma au détour d’une réplique : « rien n’est excitant s’il est attendu ». Une tournure surprenante (et pourtant qui paraît si familière) qui illustre bien sa nouvelle ambition depuis The French Dispatch avec lequel il a amorcé la réinvention de son style qui commençait à être imité ou à tomber dans la caricature, voire — pardonnez l’expression — qui restait sur des rails (vous l’avez ?). Henry Sugar (et les trois autres courts-métrages de la collection Roald Dahl) marquent peut-être un intermède dans son cinéma, agissant ainsi comme une petite friandise plus acide qu’il n’y paraît. S’agirait-il de préparer une nouvelle étape ? La réception critique du récent Asteroid City mettait en avant que le cinéma d’Anderson est désormais « reconnaissable sur la forme mais plus du tout dans le fond ». L’émerveillement semble effectivement avoir cédé place à une forte et noire mélancolie, et si Asteroid City marquait un pas vers l’inconnu, Henry Sugar le prolonge.

Quelques heures plus tard — une très courte nuit, en fait — c’était un autre exercice de style qui nous attendait, avec Maestro, nouvelle réalisation de Bradley Cooper — également acteur —, prévue pour le 20 décembre sur Netflix. Certes bien plus ambitieux dans sa mise en scène — notamment dans ses transitions (souvent diégétiques) de plans grandiloquents et toujours en mouvement, et par une patte « unique » du noir et blanc passant à la couleur — que A Star is Born, le film se perd dans son envie de toujours en donner plus, justement. Les quarante-cinq premières minutes accrochent bien, grâce, notamment, à une grande scène musicale mêlant les plus grands succès de la carrière de Leonard Bernstein, mais sombre ensuite dans un grand ventre mou. La relation entre Bernstein et sa femme Felicia (Carey Mulligan), qui semble souvent être attaquée, n’est que trop peu montrée pour lui donner une réelle consistance émotionnelle ; les projections-test ont, semble-t-il, été peu convaincantes, d’où la réalisation de coupes ? Si oui, dommage, tant certains passages suggérés (peut-être tristement ôtés) laissent présager une profondeur à la romance vendue. C’est d’autant plus regrettable qu’il faut saluer la très belle performance de Carey Mulligan, sauvant le film de ces lacunes et encore plus particulièrement de son dernier acte au pathos assez forcé, qu’elle parvient sans mal à nuancer. De son côté, Cooper — mourant d’envie d’enfin poser les mains sur un Oscar — est bon, mais, à l’image de sa mise en scène, excessif. Maestro, hommage à un grand musicien, certes, mais à vouloir trop se concentrer sur l’humain sans jamais réellement le montrer, le chef d’orchestre enchaîne trop de fausses notes.

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Heureusement, pour penser à autre chose, chaque festival contient sa petite surprise en compétition, généralement un projets un peu étrange, à la lisière du genre, parfois rafraichissant, parfois trop inégal. Cannes avait opté pour Black Flies qui, sur le papier du moins, donnait plus l’impression de devoir finir en hors compétition ou séances de minuit. La Mostra, elle, a choisi The Theory of Everything (La Théorie du Tout, en France). Le film démarre comme Charade — un homme et une femme se rencontrent à la montagne et un/des meurtre(s) mystérieux s’ensuit/vent jusqu’à percer un mystère au cœur des Alpes — et Timm Kröger en est totalement conscient. À la fois dans le pastiche et l’hommage, le cinéaste allemand actualise le film noir en le contextualisant dans une thématique plus actuelle (en tout cas au cinéma) que jamais : le multivers. Une ambition louable mais qui manque de profondeur tant le récit reste au stade de l’exposition de ses enjeux. L’entreprise de Kröger repose en fait sur l’ambiance avant (la théorie de) tout, mais au risque d’une certaine lassitude… À trop vouloir cultiver le mystère, jouer d’opacité, une distance s’installe avant de devenir un fossé. Demeure tout de même un amour évident pour un certain cinéma d’antan, non gratuitement convoqué mais utilisé savamment dans une logique de modernisation, et une grande sincérité pour son film et ses personnages, sauvés par leur incarnation. The Theory of Everything place timidement Kröger sur la carte des réalisateurs à suivre. Sa place en compétition a de quoi interroger, c’est indéniable, mais elle lui donne toutes les cartes pour lui permettre, on lui souhaite, de percer le secret de la montagne la prochaine fois.

Autre surprise, elle de taille et théoriquement parfaite pour conclure ce deuxième enchaînement : Evil Does Not Exist de Ryusuke Hamaguchi. Conçu comme un court-métrage, et finalement long d’une centaine de minutes, le dernier cru du réalisateur de Drive My Car place son intrigue au cœur d’un magnifique village dans les montagnes japonaises. Fable natur(al)iste, ce film secret n’arrive pas pleinement à convaincre. Le style d’Hamaguchi est bien là — lent, méthodique — et une scène de débat captive autant qu’elle ne dénonce (ici, l’impact du capitalisme et du tourisme de luxe sur les villages), mais le récit peine à évoluer en restant sur le chemin d’une ambiguïté lassante. Cela passe pourtant par de belles idées — la chasse au cerf, toujours hors-champ et seulement caractérisée par des tirs, ou encore la mentalité évolutive des personnages, entre le bien et le mal — mais ça ne décolle jamais au point de (trop) tourner en rond. Puis surgissent les vingt dernières minutes, totalement hors-propos et détonnant complètement du reste, assommantes d’un symbolisme grossier : le visuel d’ouverture se répète, mais la nuit remplace le jour. Tout a changé au cœur de ce village… sauf un sentiment de déception qui se confirme. L’œuvre originale précitée, le court-métrage Gift, devrait sortir peu après le festival. À voir si la nature réussira un peu mieux à Ryusuke Hamaguchi sur cet autre format. De notre côté, on part se réchauffer à la belle pizzeria côté PalaBiennale, au repas copieux pour sept euros seulement ! Le véritable Lion d’Or, on le tient.


Pierre-Alexandre Barillier


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