Lumière 2023 #2 - Marché & Films

logo superseven

Par Super Seven

le 24/10/2023


Le Festival Lumière continue, et avec lui, ses bilans.

Un peu dissociée des films proposés — mais toujours en allant dans les salles ! —, notre expérience en milieu de festival s’est aussi cantonnée à voir l’envers du décor. Tout d’abord, une visite au Marché International du Film Classique (MIFC) de Lyon, qui se tient en parallèle du festival. Cette année, le Marché s’est tenu du 17 au 20 octobre et mettait à l’honneur la Suède, notamment par le biais de conférences et de projections. Il était aussi question de discuter de la place des supports physiques dans la cinéphilie et pour les sociétés oeuvrant dans le cinéma (distribution, édition…). Certains invités, comme StudioCanal, Arte ou la Fondation Wim Wenders — cinéaste récompensé du Prix Lumière cette année, on le rappelle — revenaient sur leurs actions pour préserver le cinéma de patrimoine ou le cinéma documentaire (parfois les deux) et sur les manières de les diffuser et de les faire exister dans l’écosystème du milieu rural. Par exemple, en France, il est rare de voir une sortie de patrimoine bénéficier d'un grand nombre de copies, et être éparpillée aux quatre (six ?) coins de l’hexagone.
Le MIFC permet aussi aux délégations de pays/d’instituts cinématographiques de pouvoir parler de vive voix, de créer des partenariats ou les prolonger, afin que certaines oeuvres puissent être découvertes dans un plus grand nombre de pays.
Des actions variées qui nous touchent directement chez Super Seven. Certes, nous faisons partie des plus petits acteurs, mais le Marché nous permet également de nous faire connaître, de créer des liens et de (re)croiser certains de nos collaborateurs. C’est donc avec plaisir que nous avons pu échanger sur le futur de sociétés de distribution indépendantes oeuvrant pour le patrimoine, telles que Lost Films ou Malavida.

Ces échanges amènent aussi à de belles rencontres, comme celle de l’acteur-réalisateur Patrick Bouchitey, venu présenter Lune Froide, véritable OVNI adapté de Bukowski qui avait fait scandale à sa sortie en 1991, et qui sera de retour dans nos salles mi-novembre ! L’entretien complet avec Bouchitey sera disponible prochainement sur notre site internet dans la rubrique « Interviews » !

Autre OVNI de la sélection ayant beaucoup fait parler les plus pointus d’entre nous qui se sont rendus aux séances : Bushman de David Schickele. Oeuvre hybride entre la fiction et le documentaire, qui se nourrit malgré elle de l’arrestation et déportation de son acteur principal — alors qu’il incarnait lui-même un jeune nigérien touché par la tension raciale aux Etats-Unis à la fin des années 60 —, Schickele a su remodeler son sujet pour offrir un reflet au plus proche du réel de la situation socio-politique américaine, tout en suivant ça et là les tribulations (notamment sexuelles) de son protagoniste. Le résultat est tant un pur produit des sixties, alimenté par les questions raciales, de libération sexuelles et de quête de sens par la jeunesse, qu'un objet totalement unique en son genre par sa construction aux antipodes du classicisme narratif du documentaire comme de la fiction. Longtemps oublié, c’est grâce à un autre festival de patrimoine — Il Cinema Ritrovato à Bologne — que Malavida a pu mettre la main dessus, afin de le faire découvrir au plus grand nombre en salles en 2024.

bushman.jpeg

Bushman (1971) - David Schickele

Retour à une oeuvre plus récente avec la découverte d’une nouvelle — pour nous, en tout cas — oeuvre d’un invité d’honneur du festival : Sideways d’Alexander Payne, l’histoire de deux amis prenant la route pour découvrir (et s’enivrer) des différents vins dans la région entourant Los Angeles. Le film présente un point commun avec Winter Break — couvert plus tôt pendant l’événement : Paul Giamatti, dont cette première collaboration avec le cinéaste annonce déjà son rôle du Professeur Hunham ; il est ici Miles, personnage quelque peu antipathique et profondément hautain. Son partenaire de voyage, Jack (Thomas Haden Church), est son antithèse. Tous deux sont à un point culminant, quoique pétris de doutes, de leur vie : Miles est sur le point d’avoir son roman édité et Jack va se marier, mais il ne sait pas s’il doit le faire. Cet ultime road trip à deux prend alors la forme d’un baroud d’honneur, où les règles ne s’appliquent plus. La virée comique entre ces deux êtres totalement différents charme immédiatement, que ce soit par son lot de situations physiques et/ou d’engueulades, son savant mélange de déprime et d’humour pur, mais aussi par son quatuor d’acteurs.
Car Sideways évolue assez vite dans sa dynamique avec l’arrivée de deux figures féminines : Maya (Virginia Madsen, l’excellente Helen de Candyman) et Stephanie (Sandra Oh). Si chacun trouve un miroir dans l’une de ces femmes, la recette ne s’arrête pas là et vire à la plongée dans une réflexion sur l’amitié et ses complications, et montre, plus ouvertement, les ravages de la crise de la quarantaine. Les agissements de l’un ne sont pas acceptés par l’autre et le déni grandit. Un déni général sur leur situation, à l’origine même de leur projet. Miles a entrainé Jack sur la route du vin, lui qui n’y connaît rien, et Jack, lui, entraîne Miles sur la route du vain. Alors, plongé dans une grande mélancolie, Miles n’a d'autre choix que d'opérer une introspection, revenir sur ses erreurs passées avec Maya, les causes de son divorce et l’état de sa vie en général, laquelle va actuellement nulle part. D’un sujet très pointu (l’oenologie), Payne évoque une incertitude générale, universelle à tout âge, mais le fait avec un grand sens de la comédie, qui passe principalement par le dialogue et la situation, mais qui laisse derrière lui un sentiment de forte mélancolie.

Pour se remettre de ces émotions contraires, nous sommes retournés dans les coulisses du festival, avec la conférence de presse du Prix Lumière, Wim Wenders, qui a fait l’honneur de parler en français de bout en bout. Dans une grande discussion revenant sur sa carrière, il fut notamment question de ses deux derniers films, Anselm et Perfect Days, sur lesquels il a livré ses secrets de fabrication ; le second a fait l’objet d’un tournage assez court, en une prise par scène. Pour Anselm, il est revenu sur les raisons qui l’ont motivé à réaliser le film — un mystère entourant l’art de son ami Anselm Kiefer. Derrière, il a enchaîné sur sa collaboration avec Ry Cooder pour la musique de sa Palme d’Or, Paris, Texas. L’on y apprend notamment que Cooder a enregistré sa musique dans une salle de cinéma en se faisant projeter une version non finie du film. Enfin, Wenders a parlé du futur. De son cinéma d’abord, en révélant réfléchir à son prochain film — superstitieux, il n’a rien révélé dessus — et sur le futur du cinéma dans sa globalité, en revenant (et donnant son soutien) aux différentes grèves qui touchent les États-Unis et sur le problème de l’Intelligence Artificielle. Il s’est ensuite prêté au jeu des signatures avant de débuter LA tradition du Prix Lumière : le remake du Premier Film, La Sortie des Usines Lumière. Entouré d’invités du Festival et de certains lyonnais, Wim Wenders a donc mené à bien ce tournage, devant l’Institut. On pourra dire que Dominique Blanc, Edgar Ramirez et Philippe Rouyer ont tourné pour Wenders, et qu’on y était.


Pierre-Alexandre Bariller et Pauline Jannon


S7


wenders 2.jpeg

Conférence de presse de Wim Wenders, aux côtés de Thierry Frémaux