Lumière 2023 #1 - Dans les fauteuils, les transats et au salon

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Par Super Seven

le 21/10/2023


Le coup d’envoi de la 15e édition du Festival Lumière a été donné samedi dernier, avec une ouverture des plus grandioses puisqu’elle permettait de (re)voir la mythique descente d’escalier de Gloria Swanson, « ready for her close-up », dans le Sunset Boulevard de Billy Wilder.

Une vaste sélection de films — anciens comme inédits — et d’artistes défile dans toutes les salles lyonnaises, et c’est confortablement installés dans les fauteuils de l’Institut Lumière, aux accoudoirs sertis des plus grands noms du cinéma mondial, que notre périple commence, avec une sublime restauration 35mm de Sans Pitié d’Alberto Lattuada. Faisant partie de la sélection « Lumière Classics », ce dernier s’inscrit parmi les témoins importants du néoréalisme de bien des manières ; le générique laisse apparaître la participation de Federico Fellini comme co-scénariste et assistant réalisateur, ainsi que de Giuletta Masina au jeu, annonçant déjà les premières œuvres du cinéaste, majeures dans le mouvement avant son passage vers un style plus absurde. Difficile de ne pas être saisi par le travail du contraste en noir et blanc et sur les espaces extérieurs, lesquels enferment le destin tragique des personnages dans des lieux qui sont étouffants non pas par leur aspect restreint, mais au contraire par leur dimension désertique et les ruines qui les habitent. Surtout, la modernité de Lattuada est omniprésente, tant sur la forme – il faut noter l’utilisation de mouvements de grue, qui rappellent les réalisations soviétiques à venir de Kalatozov par exemple – que sur le fond, avec une romance centrale entre une jeune italienne et un soldat américain noir. La richesse de Sans Pitié est telle qu’elle en fait une référence majeure du cinéma italien d’après-guerre – Dino Risi en reprend d’ailleurs la fin quasiment au plan près dans Le Fanfaron –, à travers, notamment, la solidarité existant au sein de la communauté de femmes marginalisées par la guerre que l’on retrouve par la suite dans Le Soldatesse de Valerio Zurlini ou Femmes entre elles de Michelangelo Antonioni.

Le rendez-vous immanquable de ce premier week-end n’était pourtant pas dans une salle de cinéma, mais bien au salon du DVD, avec ses traditionnelles promotions exceptionnelles proposées par les vingt-quatre éditeurs exposant cette année. Une véritable opportunité pour les cinéphiles de faire hurler leur banquier, mais pour la bonne cause : garnir un peu plus leurs étagères de coffrets collectors, steelbooks, et autres raretés (ou bien juste de se procurer un t-shirt « J’aime le CUC » de chez Carlotta pour les plus étranges d’entre vous), mais également de discuter avec les éditeurs, d’en apprendre plus sur l’édition vidéo et de partager tous ensemble l’importance du format physique pour nos films préférés !
C’est donc les bras pleins, le portefeuille vide, et les batteries rechargées – après l’habituelle pause sur les transats du village Lumière, croisant au passage Wes Anderson venu actualiser sa plaque dorée sur le mur des cinéastes de la Rue du Premier Film –, que nous repartons à l’aventure.

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Le marché du DVD


Un terme parfaitement adapté pour une fin de soirée en compagnie d’Al Pacino et Gene Hackman, avec la présentation de L’épouvantail de Jerry Schatzberg, plus de cinquante ans après sa Palme d’Or en 1973. Immédiatement, L’épouvantail déroute. Ce road movie très hollywoodien happe en ce qu’il admet frontalement de ne pas faire de la destination l’objectif principal. S’il est effectivement celui des personnages principaux — du moins, au début —, leurs arrêts citadins les inscrivent moins dans des lieux ou des péripéties que dans une logique de compréhension l’un de l’autre et du monde qui les entoure. Max (Gene Hackman) sort d’une détention longue de six ans tandis que Francis (Al Pacino), lui, était perdu en mer et n’a pas pu connaître son enfant. Un temps arrêté que les deux rôdeurs tentent de mettre à profit, en envisageant d’ouvrir d’un carwash. Peu à peu Schatzberg quitte la comédie naturelle — grande preuve de la force, et différence de caractère, de ses deux interprètes – pour plonger dans le tragique au point de perdre en route. Une longue séquence en prison notamment, qui fait certes évoluer la vision du monde de Francis — sa grande naïveté s’effrite — mais aussi sur son rapport à l’Homme — idem pour sa constante gentillesse face à l’adversité —, traîne en longueur et casse le rythme. Pour autant, cela n’enlève en rien la capacité qu’a Schatzberg à briser le cœur. Une blague sur un épouvantail — visage simplet voire comique, au corps inanimé — revient à de nombreuses reprises, comme un parallèle avec l’époque froide en question, puis comme le miroir de Francis, que la reconnexion au monde a usé plus qu’il ne le pensait.

Littéralement deux salles, deux ambiances avec le lendemain, et la découverte d’une nouveauté : Un Silence de Joachim Lafosse, dans la continuité de sa présentation au Festival de San Sebastian. Après le sympathique Les Intranquilles, Lafosse remet en scène un drame familial, cette fois-ci porté par Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil. Dès ses premiers instants, le cinéaste avance en terrain dangereux, avec un flashforward destiné à entretenir un mystère. Un procédé aussi rarement pertinent qu’efficace, et Un Silence ne fait pas exception tant cette interrogation, révélée au milieu du film est très mal traitée. Lafosse tente de reléguer la figure monstrueuse d’Auteuil en quasi-hors champ, là où le personnage d’Emmanuelle Devos — et quelquefois son fils — est central, notamment par son silence sur les actes de son mari. Ainsi, ces agissements ne sont mis en avant qu’à leur découverte, dans des séquences donnant une large place à l’acteur. Idée intéressante, qui voudrait que la complicité de sa femme ait permis de garder tout ça sous le tapis, mais qui ne prend jamais vraiment. Surtout, Un silence se vautre dans le ridicule par sa façon d’en faire beaucoup trop – la musique excessive, entre autres – sans jamais réellement montrer ou dénoncer le comportement de son antagoniste. On retient surtout le ricochet comportemental du le fils, plus proche du twist et du choc que d’un véritable développement de personnage ou de tentative de réflexion. Les interprètes tentent tant bien que mal de sauver les meubles, mais sont eux-aussi victimes du systématisme du jeu de silence qui vire à la répétition. Lafosse a beau l’avoir titré Un Silence, les grands sabots de son film le rendent assourdissant.

En attendant la (re)découverte de certains Robert Altman ou bien d’un plongeon dans l’œuvre du Prix Lumière 2023, Wim Wenders, retrouvons nos transats favoris, faisons un tour au Marché International du Film Classique en parallèle du festival et … à la prochaine !


Pauline Jannon & Pierre-Alexandre Barillier


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L'épouvantail (1973) - Jerry Schatzberg