Par Super Seven
Habitué à la forme documentaire, Roberto Minervini semble tirer parti de son habitus pour bâtir un film de la guerre par la négative ; le champ est à l’observation d’une patrouille envoyée dans ces territoires inexploré, dépourvu de la constance d’un point de vue personnifié – les acteurs non-professionnels, parfois de passage improvisent le vécu de ce quotidien. Aussi parce que la guerre de Sécession se déroule à la marge géographique du conflit, dans un Ouest indéfini, aride, pleinement sauvage et donc décentré d’une macro-histoire que l’on se gardera bien d’aborder. Il s’agit bien d’abstraire le signal d’un épisode de barbarie humaine comme naissance symbolique d’une civilisation pour l’amplifier sur un plan plus métaphysique. La figure maîtresse du genre, la scène de bataille, se trouve toujours ajournée par l’attente – cette substance de l’expérience combattante si souvent reléguée à l’hors-champ, et qui colonise progressivement l’ensemble d’un flux antinarratif absorbé dans la perception. Le curseur sensitif se pose naturellement sur des marquages physiques du froid et de la fatigue, mais surtout un enregistrement tout à fait paradoxal du temps par le montage : évidemment étiré par la répétition des gestes et l’envahissement du vide, mais constamment étiolé par la brièveté et la contingence éparse des instants récoltés. De même, le son fait toujours plus de place au matériel (et la physicalité du vent, des pas, des outils) que la parole. À mi-chemin, la scène de combat finit par advenir, brutale, organique en cela que l’axe principal de la mise en scène n’est pas une disposition symétrique des deux camps dans l’espace, mais un repli sur une perspective subjective, aux repères brouillés, et donc la vulnérabilité immédiate des corps en mouvement. Surtout, cet épisode pourtant mortel pour certains ne marque pas narrativement l’avancée de la patrouille, qui replonge immédiatement dans l’attente. La deuxième effusion promise par cette nouvelle traversée du désert n’a finalement pas lieu et le film ébauche plutôt son climax sur un non-événement, une chute de neige éprouvée sur le visage des hommes. Cette quasi-déception figure ce qui était jusque-là éprouvé par le spectateur : il n’est pas, chez Minervini, d’essence de la guerre (ni d’autre chose d’ailleurs), rien que des perceptions. On peut opposer à cela, et à regret, certains versements discursifs des dialogues entre les soldats – dont on sent l’improvisation briefée à bloc pour convoyer du concept lorsqu’ils dissertent sur leur foi et leur patrie – ou encore l’image légèrement programmatique qui ouvre le film – trois loups dévorant un cerf, pour une œuvre qui se vivra certes comme un documentaire animalier mais qui, en cela, gagne à s’évider du symbole. Ces détours semblent néanmoins nécessaires à tempérer une sécheresse parfois languissante de la forme ; malgré ces limites Les Damnés n’en reste pas moins une composition sensorielle passionnante et à saluer dans sa radicalité.
Sortie en salle prochainement
Victor Lepesant