L'après-séance 04 : Le privé

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Par Super Seven

le 12/03/2023


Ce 2 mars dernier, nous vous donnions rendez-vous au Cinéma Opéra de Lyon pour une projection du film Le privé (The Long Goodbye en VO) de Robert Altman qui, malgré un échec tant commercial que critique à sa sortie en 1973, est aujourd’hui considéré comme un classique de ce genre flou que l’on nomme le néo-noir.
Altman adapte ici l’un des nombreux romans policiers de Raymond Chandler, connu pour la création du personnage de Philip Marlowe en 1939. Détective désabusé, Marlowe a été incarné de nombreuses fois au cinéma, jusqu’à très récemment par Liam Neeson dans le film au titre éponyme ; Humphrey Bogart dans Le grand sommeil (récit adapté de nouveau plus tard avec Robert Mitchum en tête d’affiche), Robert Montgomery dans La dame du lac… Voir ces oeuvres permet non seulement de mieux capter l’essence du personnage de Marlowe, mais aussi de repérer les codes et motifs de mise en scène qui se sont transmis à travers plusieurs générations de cinéastes américains pour porter à l’écran la figure du anti-héros menant à ses risques et périls une enquête qui le dépasse totalement, comme si il s’agissait de la seule chose pouvant animer sa vie monotone. Un personnage qui va à ravir à Eliott Gould, acteur fétiche de Robert Altman qui trouve sans doute ici son meilleur rôle.

Altman est loin d’être le premier nom venant à l’esprit lorsque l’on parle du Nouvel Hollywood. Or, il en est une incarnation exemplaire dans son esprit rebelle, son cynisme et ses nombreuses attaques envers les institutions américaines, que l’on retrouve bien sûr dans Le Privé, mais bien plus encore dans son chef d’oeuvre M*A*S*H. En effet, ce dernier, derrière sa façade comique, est une puissante attaque contre l’armée américaine, qu’Altman va jusqu’à décrire comme « une occasion d’agresser le public et, par extension, la race humaine qu’il tient pour responsable de toutes les atrocités perpétrées dans le monde ». Pour revenir au Privé et son contexte historique, il précède d’un an un autre grand film du néo-noir : Chinatown de Roman Polanski. Jack Gittes, campé par l’immense Jack Nicholson, est lui aussi un détective ayant le chic pour se fourrer dans les mauvais coups et qui mène son enquête seul contre tous. Cette idée de solitude est importante pour appréhender le néo-noir, dont les protagonistes, loin d’être sans failles, sont souvent les seuls à se battre pour des causes semblant perdues dans le cadre d’enquêtes à l’issue tragique, du moins amères.

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Chinatown (1974) - Roman Polanski

Dans Le Privé, le ton mélancolique résonne dès ses premières instants avec le morceau The Long Goodbye composé par John Williams. Cette musique suit le personnage mythique dans la quête l’ayant poussé à sortir de son lit : chercher de la nourriture pour son chat. Une vadrouille débute alors dans les rues de Los Angeles, dégageant une ambiance poisseuse qui rappelle les promenades new-yorkaises du Taxi Driver Travis Bickle de Martin Scorsese. A l’instar de Phillip Marlowe, Travis Bickle est un personnage solitaire, désabusé, entouré seulement de violence et de rancœur. Toutefois, il fait le choix de combattre les nombreux fléaux qui sévissent dans les rues, là où Marlowe est plus obsédé par l’irrésolution d’un mystère que le sort de l’humanité. Bickle cherche à faire un coup d’Etat, Marlowe lui, ne demande qu’à retrouver son chat. Une différence d’état d’esprit caractérisée aussi par l’humour pince sans rire de Marlowe, peu étonnant chez Altman et qui renvoie pour le coup davantage vers Jack Gittes, Bickle étant lui beaucoup plus grave.

Toujours chez Scorsese, l’idée de quête nocturne, d'errance et d’ambiance noire se retrouve aussi dans le sous-estimé After Hours, à travers le personnage du timide Paul Hackett qui rencontre également de nombreux problèmes qu’il éviterait en restant chez lui, ou encore dans A tombeaux ouverts et son ambulancier dépressif Frank Pierce, qui cherche à se racheter pour toutes les vies qu’il n’a pas réussi à sauver. Récemment encore, l’héritage de ces œuvres oscillant entre enquête et introspection profonde persiste, surtout aux Etats-Unis. Des films comme L.A. Confidential — lui aussi adapté d’un roman policier, avec une errance dans un Los Angeles poisseux dans le sillon du Privé ou Chinatown —, ou, toujours dans la même ville, Inherent Vice de Paul Thomas Anderson — dont le point de départ est une disparition et la finalité de la quête du détective un grand point d’interrogation – sont les meilleurs exemples de la postérité et la constante réinvention de ce genre qui traverse toute l’histoire du cinéma américain.


Pauline Jannon & Anthony Pham


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After Hours (1985) - Martin Scorsese