L'après-séance 03 : L'argent de poche

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Par Super Seven

le 09/03/2023


Les séances Super Seven ont lieu depuis maintenant trois ans. Certes principalement organisées sur Paris et Lyon, nous avons récemment mis en place des ciné-clubs dans d’autres villes, toujours dans l’esprit de partager notre amour du cinéma de patrimoine à travers des programmations exigeantes et accessibles.
Le lundi 27 février était donc l’occasion de vous revoir au Kino Ciné à Lille (plus précisément à Villeneuve- D’Ascq) pour une seconde séance sous le signe de l’enfance, thème des séances ici dont la largeur permet de naviguer entre les continents et les époques. Nous nous étions arrêtés au Japon il y a quelques mois, afin de vous faire (re)découvrir L’été de Kikujiro de Takeshi Kitano, et nous voici de retour en France avec L’argent de poche de François Truffaut, histoire de voir comment l’on traite l’enfance dans notre beau pays.
Le cinéma de Truffaut est intimement lié à ce sujet. Le fer de lance de la Nouvelle Vague se fait connaître avec Les 400 coups, que l’on ne présente plus, histoire d’un enfant qui vogue dans Paris plutôt que d’aller à l’école. Quasi-biographie de son réalisateur, ayant vécu une enfance elle-même contrariée : père inconnu, élevé en partie par les grands parents, tendance à fuguer ; d’où sa mise en avant de liberté dès le plus jeune âge.

L’argent de poche est son seizième film. Les audaces formelles de la Nouvelle Vague sont derrière lui, et ce long métrage, plus classique dans sa forme, est finalement assez oublié ; il est très peu cité, discuté, analysé, et même à peine trouvable en édition physique. Cette séance était donc là pour redonner un coup de projecteur à une œuvre qui le mérite amplement. Car L’argent de poche contient en son sein ce qui a fait le succès et la renommée de Truffaut. Dialogues bien écrits, un humour présent, des acteurs excellemment dirigés, il se fait plaisir derrière la caméra et cela se ressent. Il déclarait d’ailleurs : « J’ai tourné l’Argent de poche sans vedettes, car la véritable vedette d’un film sur les enfants, c’est l’enfance elle-même... l’ensemble devant illustrer que l’enfance est souvent en danger, mais qu’elle a la grâce et qu’elle a aussi la peau dure. ». Une citation qui est explicitée dans le discours final, mené par leur professeur campé par Jean-François Stévenin, ersatz truffaldien par excellence ici.

Si Kikujiro était avant tout le regard de Kitano, réalisateur et acteur, sur l’enfance, L’argent de proche laisse la place aux enfants. Le point de vue est à leur hauteur, et donne à voir leurs premiers larcins, premiers amours, premières amitiés. Cette petite école de province agit comme une micro-société où s’organisent les jeunes hommes âgés entre cinq et onze ans durant la fin d’année scolaire. L’enfance contrariée subsiste à travers le personnage de Julien Leclou, sorte d’Antoine Doinel qui n'aurait pas eu la force de quitter son foyer à problème, mais il n’est pas le personnage central, seulement un parmi tant d’autres au coeur de cette structure chorale. Surtout, L’argent de poche se refuse tout enjeu, toute gravité, en témoigne cette scène au suspense improbable où un enfant en bas âge est proche de la fenêtre du neuvième étage, le dénouement de cette séquence pouvant surprendre.

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The We & The I (2012) - Michel Gondry

Ce qui frappe est la résonance du film avec des œuvres plus actuelles, à commencer, par exemple, avec le tout aussi mésestimé The We and the I de Michel Gondry. Le réalisateur français montre le dernier trajet en bus, rentrant du lycée, d’un groupe de new-yorkais. On y suit à tour de rôle ces adolescents sur le chemin de leurs maisons et de leurs nouvelles vies d’adulte. Malgré une certaine légèreté, le ton se veut plus grave, traitant de harcèlement, de l’influence du groupe au sein de la société. Là aussi l’adulte est très peu présent et ne prend pas part à l’histoire, il n’influe pas sur le comportement de ces jeunes en quête d’identité.

Dans une tranche d’âge encore plus basse, il y a aussi Petite Maman de Céline Sciamma. Une petite fille rencontre sa mère au même âge qu’elle dans une forêt, prétexte pour regarder l’évolution des deux jumelles qui apprennent à se découvrir. Le côté très concret de Truffaut et ses dialogues écrits, donnant parfois l’impression de voir des paroles adultes dans des bouches d’enfants – créant décalage et humour –, laisse place chez Sciamma à de l’onirisme, des actions du quotidien qui prennent une autre dimension. Elle s’attarde sur une banale préparation de crêpe, où l’on sent que la caméra ne coupe pas pour laisser surgir la naïveté pure et révéler une magnifique entente fraternelle. Il y a là comme un héritage du cinéma de Truffaut, à travers l’envie de donner de la liberté aux enfants, de s’affranchir du contrôle des adultes et mettre en lumière la grâce qui existe chez eux.
Le cinéma américain n’est pas en reste, et pour n’en donner qu’un exemple – ô combien inspiré de la Nouvelle Vague –, mentionnons Sean Baker et son The Florida Project, autre ode à la naïveté enfantine qui met en scène une jeune fille vivant dans un motel de Floride. Incapable de se rendre compte de la misère environnante, Moonee, trouve son bonheur avec des camarades du même âge en déambulant dans cet environnement ensoleillé et terriblement vide.

Il y en aurait bien d’autres à citer, mais restons-en là. Quoiqu’il en soit, cette séance a permis, du propre mot des spectateurs, de voir un film qui leur manquait, dont ils ne connaissaient à peine l’existence. Tout ceci nous prouve la nécessité de montrer et remontrer ce qui a été fait, pour éviter que certaines œuvres ne tombent dans un relatif anonymat.


Amaury Al hamed


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The Florida Project (2017) - Sean Baker