Quatre variations de Hong Sang-soo

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Par Super Seven

le 18/02/2023
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In another country (2012)


A l’occasion de la rétrospective qui lui est consacrée du 13 février au 5 mars à la Cinémathèque Française, Super Seven tient à mettre en avant, à sa manière, l’œuvre d’un des cinéastes que nous considérons parmi les plus intéressants actuellement – et notre article sur La Romancière, Le Film et Le Heureux Hasard le montre bien : l’étonnant et infatigable Hong Sang-soo. Au travers de ce collage minimaliste de quatre textes sur des films récents de l’auteur, une invitation à découvrir ceux-ci mais aussi ceux qui précèdent, qui s’interposent, et qui arrivent.


In another country (2012)

Trois des thématiques centrales chez Hong Sang-soo — le cinéma, l’adultère et la séparation — sont mêlées dans ce film à travers des variations intelligentes et malicieuses où Isabelle Huppert joue tour à tour trois femmes en proie à des tourments amoureux. Son style épuré et délicat (bien que toujours parsemé de zooms déconcertants) se décline sous nos yeux, à la manière des dialogues qui se ressemblent et se répondent donnant à chaque segment sa spécificité.
Un bijou de naturalisme.

Pauline Jannon


Un jour avec, un jour sans (2015)

Par la mention dans le titre de son procédé scénaristique : une même histoire répétée deux fois, (qui pourrait faire écho à Smoking/No Smoking de Resnais), Hong Sang-soo développe avec Un jour avec, un jour sans un film théorique sur sa propre œuvre. Il est comme toujours histoire de courte liaison : le réalisateur, et une jeune fille peintre. Ils se rencontrent devant un temple, ont des discussions rohmeriennes qui leur font peu à peu oublier le temps, et ils se dévoilent des choses plus ou moins intimes. Cette intimité pudique, créatrice de trivialité, intéresse par son côté aléatoire ; c’est justement cette approche parsemée de gestes naïfs et non maîtrisés qui caractérise l'œuvre du cinéaste. Nous sont donc disposés deux déroulés, ni parallèles ni en opposition, simplement deux déroulés comme il pourrait y en avoir d'autres probables. Le contenu est une sorte de marivaudage théâtral concrétisé, pour son aspect épuré et pathétique. Le fait que cette pièce soit rejouée (et deux représentations ne sont jamais vraiment pareilles) offre au spectateur un second degré de visionnage, qui rend visible ce qu'on ne peut vraiment voir, l'indécision. En plus de celle des personnages, c'est cette volonté de capter la création sur le vif, sans la contrôler, qui symbolise cet attrait de Hong Sang-soo pour la variation. Une variation à cela de mettre en exergue ce que l'on fait varier. Un jour avec un jour sans se rapproche de cette idée de façon assumée. On ne cherche plus l'inattendu grotesque, mais on étudie les détails, ceux qui changent et ceux qui ne changent pas. Chaque geste est notable. Dès lors, la fascination vient davantage de cette attention aux composantes triviales de chaque scène que d'une avance sur les personnages, eux en savent toujours plus que nous. Hong travaille déjà son minimalisme, et permet de suivre à merveille l'évolution d'une conversation en nous laissant voir les insignifiantes réactions de chaque personnages dans le même plan simultanément, ainsi rendues signifiantes par presque rien. Plus que les dialogues, ce sont ces réactions minimes qui déterminent la narration, ce bouillonnement qui menace toujours de virer vers le pathétique. Mais avec ce pathétique joue une douce mélancolie. Un jour avec, un jour sans pourrait n’être vu que comme une simple mélodie de piano, jouée en majeur, puis en mineur.

Etienne Kaufmann

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La femme qui s'est enfuie (2020)


La femme qui s’est enfuie (2020)

Pour l’an de disgrâce 2020, Hong Sang-soo avait préparé, par anticipation, un film presque confiné, ou du moins qui contemplait la distanciation (la vraie) entre les autres et nous. En trois temps, Gam-hee (Kim Min-hee) retrouve, une par une, d’anciennes amies dont elle s’était éloignée progressivement, elle qui, étant mariée depuis 5 ans, « n’a pas passé un seul jour loin de son mari ». Lors de ces visites, on revient peu sur le passé, si ce n’est sur des détails que l’on a retenus, on bavarde de choses triviales. Hong profite d’avoir encore un peu plus épuré son dispositif – un décor, un plan fixe, un dialogue, tenus à l’économie de la tripartition du film – pour faire surgir les enjeux des blancs, des contretemps qui irriguent la conversation, qui trahissent autant les gouffres qui se sont créés entre les personnages que l’affection sincère qu’elles se portent. La femme qui s’est enfuie se tiraille entre un passé hors-champ, au tissage impressionniste, et la matérialité du présent. Il faut souligner la portée comique qu’apportent les deux interruptions des rendez-vous : l’un par le voisin capricieux de Seo Young-hwa qui déclare la guerre à ses chats, l’autre par l’amoureux transi de Song Seon-mi. S’il s’épure, s’il se calfeutre, le geste Hong Sang-soo ne devient jamais une méthode, en laissant entrer ces courants d’humanités qui pavent la voie d’un déchirement. Cet écrin de solitude, qu’incarne Kim Min-hee, écoute beaucoup et se livre peu. C’est ainsi que l’auteur cultive l’attention du spectateur sur des images et des mots qui la traduisent. Sa peine à cacher la gêne douloureuse de se voir interdite l’accès à une pièce de la maison de son amie. Le regard fasciné qu’elle jette à l’écran des caméras de surveillance, quand, par deux fois, elle est témoin par ce biais, d’un événement intime (une étreinte dans le cas de sa première amie, l’engueulade avec un amant dans le cas de la seconde). Ces deux premiers segments où il est souvent question de voisinage, de l’espace privé que l’on a acquis, de nos vies compartimentées, amène à un troisième où la douleur manifeste passée revient à la charge. Elle recroise son ancien petit ami et celle qui est devenue sa femme (est-ce vraiment par hasard ?). Après avoir renoué avec cette dernière, elle fuit face au second, n’arrivant plus à discuter cette fois. Dans ce portrait mélancolique, le salut se niche dans des marques infimes, latentes, délicates de sororité. Chef d’œuvre, l’air de rien.

Victor Lepesant


Juste sous vos yeux (2022)

Derrière ce titre à l’allure de mauvaise blague – rappelant celui du dernier et brillant film de Jonas Trueba, Venez voir –, se cache une vérité des plus fortes, ainsi qu’une invitation à l’humilité déconcertante. Le cinéma d’Hong Sang-soo confine de plus en plus au dépouillement absolu : intrigue minimaliste, mise en scène instinctive à la qualité visuelle primitive, ici presque impressionniste. Ce sont les tourments, l’intériorité même de Sangok (Lee Hye-young) qui dicte tout ; le secret qu’elle renferme est palpable ab initio par la représentation des décors où elle évolue (ce gazon à la beauté radioactive qui renvoie directement au mal-être qui ronge Sangok) ainsi que dans les silences, les temps morts qu’elle disperse ça et là. Hong Sang-soo ne capture donc plus la vie, mais la laisse s’exprimer sans intervention – ou presque –, comme lors d’une interlude musicale où, derrière l’anodin de l’instant, les sentiments se dévoilent. Ne reste alors qu’à contempler la pluie, à se laisser happer par une certaine banalité pour prendre conscience que le temps le plus beau n’est pas celui écoulé, mais celui qui reste, là, juste sous nos yeux.

Elie Bartin


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Juste sous vos yeux (2022)