Retour sur la 16e édition des Hallucinations Collectives

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Par Super Seven

le 21/04/2023


Du 4 au 10 avril dernier s’est tenu la 16e édition du festival Hallucinations Collectives organisé par l’association ZoneBis dans son habituelle antre : le cinéma Comoedia. Les habitués connaissent le ton, les autres peuvent d’emblée le deviner au nom de l’évènement. Durant une semaine, c’est un « autre » cinéma qui est célébré : celui des films bizarres, dérangeants, étonnants, hallucinants… Une sélection riche avec une compétition proposant des films inédits en salle, regroupant ce qui peut s’apparenter à ce qu’il y a de plus « grand public » aux HallusCo — cette année, par exemple, Venus de Jaume Balagueró ou encore Pearl de Ti West — mais aussi des curiosités que l’équipe se plaît à déterrer, des hommages à des cinéastes de genre — comme José Ramón Larraz — ou encore le traditionnel film pornographique de fin de soirée. Une envie donc : être bousculé lors de cette nouvelle édition, marquée par un record d’affluence. Tout n’a pas été à la hauteur, avec quelques déceptions notables, mais certaines belle surprises sortent du lot, et ont donné sa saveur à cette dégustation en tous genres.
A noter qu’outre cette couverture écrite, nous vous invitons à écouter l’épisode hors-série, enregistré pour l’occasion, de notre podcast Studio Seven.

L’amertume a commencé dès l’ouverture, avec le très attendu Shin Ultraman. Une adaptation nostalgique et maîtrisée du matériau mais ressemblant à un enchainement plus ou moins réussi d’épisodes de la série originelle. Ce manque de modernisation, d’audace, génère un ventre mou, voire, et c’est pire, quelques passages à la limite du risible.
De quoi lancer les hostilités, d’autant que certains titres de la compétition n’ont pas été beaucoup plus agréables, au contraire. Par exemple, Venus de Jaume Balagueró et Candy Land de John Swab. Deux thriller horrifiques (avec en plus une couche de fantastique pour le premier) centrés sur des protagonistes féminins, qui ont en commun une écriture particulièrement boursouflée. Candy Land est peut-être le plus intéressant des deux, car malgré ses sabots d’une lourdeur à faire pâlir un éléphant, on ne peut enlever à Swab quelques trouvailles, notamment dans la perspective adoptée par sa caméra pour rentrer dans la subjectivité de ses personnages. L’inconsistance de ces derniers ne les rend pas moins attachants, probablement aidés par les performances sympathiques des acteurs qui se dépatouillent comme ils peuvent avec leurs répliques pour faire vivre une dynamique de groupe à laquelle on arrive à croire. On ne peut pas en dire autant de Venus, qui apparaît simplement comme un immense bordel où rien ni personne n’arrive à tirer son épingle du jeu. Si ce cocktail des gimmicks de Balagueró a de quoi contenter ses plus grands fans, il donne surtout l’impression d'une belle gueule de bois. La multiplication des éléments de narration, tous plus improbables les uns que les autres, enferme le récit dans un pathétisme exacerbé à chaque nouveau retournement de situation, et les incursions d’horreur censées faire monter la tension provoquent plutôt des crises de rires nerveux. Le final, affligeant au possible, fait rouler les yeux au plafond. Pour les histoires de mère des sorcières, autant revoir Suspiria.
Heureusement, aux grands maux, les grands remèdes et la plongée dans le cinéma de Larraz est de ceux-là. Particulièrement Vampyres, qui de toute évidence a été réalisé avec trois fois rien mais où le morbide d’une chambre funéraire rencontre l’érotisme d’un vieux cinéma X. Un univers glauque qui fascine par une mise en scène inventive et des décors baroques, non sans rappeler l’univers du giallo. L’oeuvre de Larraz n’est certainement pas de celles qui peuvent plaire à tout le monde. Il filme sans aucun détour des scènes de sexe tournant parfois au cauchemar. Pour autant, il est intéressant de s’attarder sur son rapport au corps féminin, représentant une arme fatale plus qu’un objet de désir ici. Il serait clivant d’aller jusqu’à le présenter comme une figure féministe, lui qui a surtout surfé sur la vague des thriller érotiques à la Jesus Franco, mais Larraz reste néanmoins un cinéaste qui parvient avec bien moins de moyens à donner bien plus de consistance à ses héroïnes que les deux réalisateurs suscités.

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Vampyres (1974) - José Ramón Larraz

Parmi toutes ces oeuvres à l’univers fantastique ou d’une horreur décomplexées, d’autres ont été présentées avec une approche tout à fait différentes du concept même de peur. Déterrées pour l’occasion, deux d’entre elles offraient un portrait sombre et d’une rare violence des Etats-Unis post-Vietnam, nous faisant encore sortir des sentiers-battus par rapport aux propositions habituelles sur le même sujet. C’est à travers l’horreur du réel que les deux cinéastes à l’origine de Combat Shock et Joe, c’est aussi l’Amérique aspirent à choquer le spectateur, car finalement quoi de plus terrifiant que la monstruosité qui peut nous guetter à chaque coin de rue ? Combat Shock, réalisé par Buddy Giovinazzo, alors encore étudiant et avec très peu de moyens au point d’avoir ses proches comme équipe, est le plus frontal et glaçant. Bien que trop marqué par ses références au Eraserhead de Lynch et Taxi Driver de Scorsese, Giovinazzo parvient à faire ressentir le malaise constant de son personnage à la voix off obsédante, et dont l’issue ne peut être que fatale. Au delà de l'horreur très explicite de l’existence même de son protagoniste, la force de Combat Shock réside dans ses personnages secondaires, qui interviennent au compte gouttes pour ancrer d’autant plus Frankie dans cet environnement hostile. On croise par exemple la route d’un autre vétéran, désespérément à la recherche d’une dose d’héroïne et prêt à tout pour l’obtenir. Plus tard, alors qu’on ne l’avait plus vu depuis cette rencontre, il se retrouve complètement hagard sur le trajet d’une prostituée, laquelle s’assure à l’aide d’un bâton qu’il ne réagit pas avant de lui dérober sa seule possession : son arme à feu. Cette même arme qui bien sûr finit dans les mains de Frankie pour sceller son passage définitif dans la folie de celui qui survit à ses cauchemars depuis son retour de la guerre.
Joe, c’est aussi l’Amérique de John G. Avildsen s’intéresse lui aussi à cette période de l’histoire des Etats-Unis, mais par une montée en tension plus insidieuse. A travers la rencontre entre un bourgeois, qui a tué par accident un hippie, et un américain moyen qui rêverait d’en avoir le courage, nous assistons à un duo pour le moins détonant, reflétant dans son opposition tout le mal qui ronge l’ensemble des strates de la population. L'ultime séquence s’avère d’une violence cathartique pour les protagonistes, laissant libre cours à leurs instincts les plus primaires, enfouis dans leur vie routinière et ennuyeuse — autant pour le pauvre manutentionnaire alcoolique que pour le grand cadre dans son building — en tuant ceux qui représentent la quête de liberté. On peut cependant regretter la perte de l’once de subtilité du récit dans ce freeze-frame final d’un goût questionnable. Joe, c’est aussi l'Amérique s’impose néanmoins comme un témoin important de la contreculture américaine — deux ans seulement après Easy Rider qui pavait la voie —, et reste une oeuvre percutante grâce à son ambiance nous faisant voguer entre embarras et fascination.

Pour autant, la sève des HallusCo réside dans ses petites pépites méconnues, ces oeuvres insoupçonnées, déterrées d’on ne sait où, et que l’on va voir presque au hasard. L’inconnu du Shandigor a sans doute été l’une des meilleures surprises. Un film d’espionnage suisse inspiré par la Nouvelle Vague — difficile de ne pas le rapprocher du Alphaville de Jean Luc Godard —, avec un étrange décalage entre l’angoisse générée par le récit (gravitant autour du thème de la catastrophe nucléaire) et des séquences ou répliques assez drôles. Sorti en 1967, il a été comparé aux premiers James Bond, sans doute par la figure du professeur tyrannique et les décors ultra modernes de sa maison. Or, il y a une différence importante avec les aventures de ce bon vieux 007, à savoir l'absence de protagoniste, et surtout de héros. Jean-Louis Roy préfère en effet multiplier ses personnages à travers des enjeux croisés entre différentes nations ou organisations criminelles, pour conclure que nul ne peut sortir gagnant de cette situation. Pourtant, personne ne semble déçu de son sort, comme si ce concours du plus pourri n’était qu’un passe-temps pour eux, quand bien même l’origine de celui-ci est une découverte majeure qui aurait pu amener la paix dans le monde… L’inconnu de Shandigor est pessimiste et a son lot d’imperfections, mais il demeure toutefois une superbe découverte sur grand écran : certaines séquences marquent les esprits, notamment celles impliquant Serge Gainsbourg, accessoirement auteur de l’une des chansons du film. Dans un tout autre registre, mais tout aussi pessimiste, Smithereens, long-métrage punk de Susan Seidelman réalisé avant son grand succès Recherche Susan désespérément. On y suit une aspirante rockstar dans le New York des années 70/80, voguant d’une galère à l’autre mais semblant se complaire dans cette vie précaire lui garantissant la seule chose qui lui importe : sa liberté. Smithereens est alors de ces oeuvres flottantes, où l’on se laisse guider sans but précis par cette femme qui parvient à être attachante sans jamais forcer la compassion. Ici encore pas de happy-end : inutile de s’attacher à une quelconque relation amoureuse, d’espérer voir se réaliser les rêves de gloire et richesse, de penser que ces révolutionnaires dans l’âme vont réellement faire la révolution… Il ne s’agit que d’une odyssée spirituelle capturant l’esprit des rues et nuits new-yorkaises comme nous avons rarement l’occasion de les voir.

Une errance sincère qui fait écho à Pixote du brésilien Héctor Babenco. Flirtant avec le documentaire cette fresque violente où personne ne semble posséder de lendemain est ponctuée de moments d’une grande douceur. De quoi passer du rire aux larmes, face à une bande de jeunes dont la vie s’effondre sous nos yeux. Une autre bande est elle, confrontée à une myriade de folies dans le House de Nobuhiko Obayashi, sur lequel nous reviendrons plus en détails à l’occasion de sa ressortie prochaine par Potemkine Film. Toute l’imagerie pop du Japon y est concentrée, dans un bazar filmique aux milles-et-unes idées tant horrifiques que comiques. Une oeuvre insaisissable, inclassable, littéralement hallucinante. Quoi de mieux pour embrasser la singularité de ce festival ?


Pauline Jannon, Anthony Mota (Deka), Anthony Pham


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House (1977) - Nobuhiko Obayasji