Les Arcs #2 : Flop of fame

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Par Super Seven

le 17/12/2024


Après une courte nuit et un gros petit déjeuner face à la montagne toujours bien couverte, certains s’aventurent à trouver la bonne navette pour se rendre au centre Taillefer (re)voir Queer de Luca Guadagnino – sur lequel nous reviendrons plus longuement dans un article à part – tandis que d’autres échouent à se motiver pour aller voir les people invités aux Arcs dévoiler leur étoile du Slope of Fame (heureusement, les équipes du festival documentent pour nous ces moments amusants sur leurs réseaux).
Les retrouvailles se font alors pour les trois films suivants, pour le meilleur et pour le pire.

WHEN THE LIGHT BREAKS

L’Islande est à l’honneur cette année aux Arcs, entre un Focus dédié et la présence en compétition de When The Light Breaks de Rúnar Rúnarsson, précédé de son court métrage O. Tourné en noir et blanc, ce dernier prend place sur une petite période où un ex-alcoolique se rend au mariage de sa fille qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Les débuts intriguent : il semble vivre en foyer d’accueil (ce qui n’est jamais confirmé), se prépare pour un évènement qui se révèle être la cérémonie et ses liens avec les personnes présentes ne sont pas immédiatement clairs. Malheureusement, ce qui suit n’est qu’une vulgaire descente aux enfers où l’homme retombe dans ses travers alcooliques sans raison ni empathie à son égard – il retombe dans ses méfaits sans aucune explication, à moins qu’il s’agisse du stress, montré par un léger tremblement. Il faut dire que la mise en scène – en plan séquence, filmant le dos de son protagoniste, sans montrer la réaction des autres personnes présentes – de toute cette “seconde” partie n’aide pas : l’homme fait des bruits ridicules (que sont-ils censés être?) et court sur toutes les bouteilles possible pour se les envoyer jusqu’au dernier plan où, mélancolique, il boit une bière cul-sec. Un court aux allures de shot trop chargé donc, atténué par un long (un peu) plus en finesse..
La poésie de When The Light Breaks (Ouverture du Certain Regard cannois cette année) ne marche pas toujours mais recèle quelques moments de grâce. Dans un récit d’amour, de deuil et d’amitié – l’on suit un groupe d’amis seulement caractérisés par le fait qu’ils soient tous proches sentimentalement (famille, amis et amours) d’un homme mourant au début du film –, c’est quand le film se veut sensoriel qu’il marche le mieux ; prenons pour exemple une scène “guidée” par l’un des personnages – amante du disparu, tenant dans ses bras la compagne de ce même homme – nous amenant (la caméra adoptant le point de vue de la seconde personne) à fixer la vitre d’une église et de se reculer afin d’avoir la sensation de voler. Avec un simple travelling arrière, une musique calme et quelques bruits d’ambiance, Rúnarsson appelle à se mettre dans la peau de ses deux personnages avec beaucoup de réussite. L’on en serait presque à regretter que cela arrive si tard dans un film qui réussit à réitérer une émotion forte quelques minutes plus tard, quand ces deux mêmes personnages sont au lit, dans un grand silence et avec peu de mouvements. Leurs peaux (très) blanches s'impriment dans les draps rouges du lit, convoquant l’austérité du Bergman de Cris et chuchotements (compte tenu de la relation “opposée” des deux femmes) et une tendresse qui lui est propre sur le moment. Encore une fois, dommage que cela arrive si tard – c’est l’avant-dernier plan – tant la caractérisation de ses personnages échoue à créer un attachement à deux niveaux : l’histoire d’amour, objet du deuil, est trop mise de côté et parallèlement les différents morceaux de cette histoire fragmentée ne se recollent pas du tout. Ironie du sort, en voulant convoquer un ultime moment flottant et poétique, Rúnarsson conclut avec grossièreté. Il reprend le plan précédant la catastrophe initiale en troquant les lumières d’un tunnel (menant vers la mort) avec un vol au-dessus de la mer, dernière étape de l’âme passant définitivement de l’autre côté de la rive. Avec les sabots du procédé, on s’attendait plutôt à plonger.

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When the light breaks de Rúnar Rúnarsson - en salles le 19 février 2025

LOVEABLE

Loveable, lui aussi en compétition, portait l’espoir de relever le niveau d’une après-midi mal démarrée. Tout commence comme dans une romcom américaine avec un flashback dans la tête de Maria (Helga Guren): la rencontre parfaite entre un beau-gosse successful et une maladroite fraîchement divorcée prête à ouvrir son cœur. Elle explique en off à quel point il est parfait, mais la musique et sa voix au bord des larmes assène qu’un drame plane. Il suffit ensuite d’une seule séquence à Lilja Ingolfsottir pour montrer la charge mentale d’une mère s’occupant seule de quatre enfants. Chacun avec leurs problématiqueils cherchent constamment l’attention d’une Maria au bord de la crise de nerfs. Les uns ont besoin d’aide pour se déshabiller, la grande veut des conseils pour se maquiller, le petit pour se torcher les fesses, tout cela dans l’urgence. Ce sentiment de débordement est accentué par la caméra qui suit toutes les actions avec un temps de retard, Maria ne faisant que fuir le cadre. Lorsque son mari, Sigmund, revient d’un long voyage à l’étranger, les retrouvailles ne sont pas chaleureuses : il monologue sur son travail et ne lui laisse pas l’espace de s’exprimer. Cette scène, certes banale, est rejouée à chaque étape de la thérapie de Maria et apparaît être l’élément déclencheur de la crise du couple. La charge mentale de mère apparaît être le sujet du film, avant que celui-ci ne prenne le ton d’une vidéo sur le développement personnel et l’acceptation de soi.
En voulant à tout prix sauvegarder son couple, Maria part à la recherche d’une alliée inconditionnelle chez ses proches. Lorsqu’elle se rend chez sa mère, le dialogue vire au procès contre cette dernière, Maria l’accablant de tous ses maux au point de révélerson individualisme. Toujours dans cette idée de sauvegarde, elle se met à harceler Sigmund au travail et à menacer de se suicider. En se focalisant à ce point sur Maria, un hors champ grandit au sein duquel ses enfants sont abandonnés. La seule avec qui elle garde contact est la grande dans laquelle elle essaie de voir son image, ou plutôt la confirmation qu’elle ne répète pas les erreurs que sa propre mère a commises. N’y parvenant pas, elle l’abandonne une seconde fois en refusant de comprendre ce qui se cache derrière la colère de sa fille, pourtant si proche de la sienne. Ainsi, plus Loveable suit son cours, et plus le monde extérieur cesse d’exister au profit de la seule présence de Maria. On ne compte pas les plans où, seule contre le monde, elle pleure en regardant la ville par sa fenêtre. Elle finit même par faire une thérapie de couple seule, symbole de ce désintéressement aux autres afin de pouvoir, elle, avancer . Lilja Ingolfsottir se retrouve quant à elle prise à son propre piège de resserrement du sujet, comme engluée à Maria sans savoir quoi faire d’elle. Pour preuve, la conclusion d’une demi-heure et ses trois fins contradictoires : une fin ouverte où la scène précitée de retrouvailles avec son mari est modifiée suggérant que tout se soit déroulé dans son esprit ; une autre où Sigmund part définitivement et la laisse seule ; enfin, celle positive où leur amour renaît.
Là encore, rejetés à la marge de l’amour parental tout comme ils sont vite jetés sous le tapis une fois la charge mentale exposée, les enfants restent les grands absents de ce dénouement. Comme souvent dans les divorces, ils se retrouvent au second plan et sont obligés d’exceller dans le meilleur ou le pire pour retrouver l’attention de leurs parents mais non, Loveable les déshumanise et annonce, sans le savoir, le dernier film de la journée.

VITTORIA

Le dernier clou au cercueil de cette journée de projections peu convaincantes est enfoncé à quatre mains par Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman avec Vittoria, la dernière production Sacher Films (société de Nanni Moretti). Respectivement réalisateur et journaliste de formation, les compères mêlent leurs deux pratiques en documentant la véritable histoire de Jasmine, une coiffeuse napolitaine dont les daddy issues l’empêchent de s’épanouir pleinement tant qu’elle ne sera pas l’heureuse détentrice d’une petite fille (car avoir trois garçons c’est merveilleux, mais quand même moins bien que d’avoir trois garçons ET une fille !). Elle décide de se lancer dans le dur parcours de l’adoption pour conjurer son malheur, et embarque un peu malgré eux le reste de sa famille dans ce processus – après tout, son mari achète un local à Capri sans lui demander son avis, elle peut bien faire ce qu’elle veut à son tour…
S’il peut être intéressant de questionner l’éthique de l’adoption et le désir profond de maternité, Vittoria se vautre lamentablement dans une complaisance envers ceux dont le choix égoïste ne doit surtout pas être remis en question, au risque de passer pour le méchant. Tout le monde, spectateur compris, doit se plier au besoin de Jasmine d’un nouvel enfant, qui ne doit être ni un garçon, ni trop bête, ni trop handicapé. La longueur et les obstacles successifs du processus d’adoption ne sont montrés que comme des freins à l’accomplissement d’un besoin individuel ; le point de vue de l’enfant adopté et les répercussions psychologiques du déracinement ne sont jamais réellement pointés.
Pour ne pas aider le tout, la mise en scène est d’une fadeur à faire pâlir une galette de riz : tout est statique sans pour autant nous faire ressentir de langueur, chaque plan succède au précédent de manière automatique et descriptive sans jamais laisser le récit respirer. Les rares moments de plaisir partagé dans la famille (lorsqu’ils dansent dans le salon, ou que le plus grand des fils chante un karaoké) sont avortés brusquement comme si la caméra ne savait plus où se placer dès lors qu’elle ne montre pas Jasmine regarder dans le vide. Il faut noter que les parents incarnent maladroitement leur propre rôle, ce qui questionne la démarche même de l'œuvre et la sincérité des intentions devant la caméra : les adoptants feraient-ils cela pour montrer à quel point ils sont généreux d’avoir donné un foyer à une petite orpheline biélorusse avec un retard cognitif ?
Un semblant de remise en question se dessine toutefois dans les toutes dernières minutes, quand le père, qui suivait plutôt mécaniquement le processus jusque-là, s’exclame à sa compagne et au personnel du centre d’adoption “mais laissez-la tranquille !” alors que la pauvre Vika n’arrive pas à dessiner un rond. Trop tard cependant pour se laisser attendrir par ce couple dysfonctionnel qui panse ses maux en répondant aux pulsions de chacun selon le crédo “fais tes propres choix” plutôt que de s’offrir une thérapie dont le coût aurait sans doute été moindre que celui d’une adoption, sur lequel le récit insiste lourdement pour bien nous faire comprendre le sacrifice que cela demande d’être philanthrope…


Pour conclure cette journée décevante en termes de cinéma, nous nous en remettons donc à la musique avec la soirée au Patatrak qui accueille le set de la DJ Rebeka Warrior (ayant récemment participé à la composition de la bande originale des Reines du Drame, entre autres). L’occasion de s’abandonner dans une foule dense, qui mêle le public de professionnels et certains invités d’honneur sans distinguo, de se dévêtir un peu et d’oublier les regrets du jour.


Pierre-Alexandre Barillier, Mathis Slonski & Pauline Jannon


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Vittoria d'Alessandro Cassigoli et Casey Kauffman - prochainement en salles