Par Super Seven
Un train, puis un autre, et encore un autre. On pense être arrivés mais il faut encore transporter les valises lourdes de polaires et pantalons de ski dans un funiculaire, puis un bus qui se fait désirer… Il n’y a pas à dire, le festival des Arcs se mérite !
Ces péripéties nous ayant fait rater la cérémonie d’ouverture, nous profitons de l’ambiance brumeuse du début des festivités pour faire un tour dans la station qui les accueille pour la semaine à venir.
Dans un étrange silence rythmé par le ballet des déneigeuses et dameuses (sans doute y’a-t-il plus d’animation quelques centaines de mètres plus bas avant la projection de L’attachement, le film d’ouverture), nous suivons le jeu de piste des panneaux aux couleurs du festival afin de profiter de notre première séance dans une salle aménagée en lieu de projection, à l’ambiance chaleureuse et intimiste.
Cette séance alternative fait sens dans ce cadre des Alpes françaises, puisque Vermiglio se situe un peu plus loin dans la chaîne de montagnes, dans le Trentin-Haut-Adige italien. Maura Delpero y déploie l’histoire d’une famille — celle de l’instituteur du village, dont la classe unique regroupe tous les jeunes du coin — durant la fin de la seconde guerre mondiale. Le conflit est loin de ce microcosme mais il est tout de même omniprésent dans les regards et les silences des soldats qui reviennent du front, dans les lettres qui se perdent tandis que le maître apprend aux enfants le sens du mot « épistolaire », et surtout dans cette compulsion à remplacer les fantômes par de nouvelles naissances (la matriarche en est à sa onzième grossesse à la fin du film).
Au rythme des saisons, chacun s’efforce de contrer l’inévitable tragique en continuant de faire vivre les dynamiques collectives, créer des unions et rêver d’un ailleurs. Au travers de plans fixes, les scènes de la vie quotidienne telles que des repas de famille, de brefs échanges autour de la fontaine commune ou des rendez-vous secrets pour fumer des cigarettes loin des yeux des adultes deviennent l’occasion de s’attacher un peu plus aux aspirations de chacun des enfants, soumis à différents tourments mais qui veulent avant tout rendre fier leur père. La merveilleuse image de Mikhaïl Kritchman (directeur photo habituel d’Andreï Zviaguintsev) s’accorde aux concertos de Vivaldi et offre dans ces ellipses une harmonie globale qui permet de comprendre les enjeux de chaque période sans s’épancher en dialogues, simplement grâce aux mouvements de la nature dans des décors épurés donnant l'impression d'être dans un huis clos en plein air.
La réalité funeste rattrape bien sûr chacun, d’abord avec la mort d’un nouveau né puis avec celle de Pietro – le jeune mari de Lucia, la plus âgée des enfants de la famille donc la plus touchée par la reproduction du schéma parental – qui enterre avec lui les illusions d’une reconstruction solide. Delpero s’en sert toutefois comme d’une vraie rupture dans le récit en emmenant la veuve en Sicile clore cette parenthèse douloureuse dans un plan époustouflant ; dans le silence face au soleil couchant, elle fait le deuil de son mari mais aussi de la vie qu’elle fantasmait, pour ainsi s’affairer à rendre meilleure celle qui lui a été donnée.
À son retour, tout semble être revenu à sa juste place. Sa sœur pécheresse a rejoint le couvent et appris à transgresser sans se détruire, celle promise aux études excelle dans son internat, les plus petits se portent si bien qu’une nouvelle grossesse est en route. L'hiver refait sa loi mais les plans lumineux contrastent cette fois avec la morosité ambiante du début. Pourtant, on ne peut s’empêcher de garder un goût amer face a une telle résilience et un tel déterminisme (le père énonce plus tôt à sa femme quel sera le rôle de chacun pour que tout s’arrange). La guerre est terminée certes, mais en ayant rendu les armes.
Un peu sonnés par cette première découverte, nous partons chercher de la chaleur au Manoir Savoie où se tient la soirée d’ouverture du festival. L’occasion de retrouver les festivaliers en doudoune pour danser au rythme des prestations d’artistes conviés pour discuter des films vus ou simplement partager un verre. Un lancement tout schuss pour cette édition 2024, qui rend curieux sur les pistes à découvrir durant les prochains jours !
Vermiglio de Maura Delpero - en salles le 19 mars 2025
Pauline Jannon