Par Super Seven
Pour sa 35e édition, le Festival Ciné-Junior – plus grand festival de cinéma jeune public en France – a mis l’accent sur la diversité des points de vue dans sa compétition. Du film sportif non européen à forte résonance politique (Samia de Yasemin Samdereli, d’après la vie de l’athlète Somalienne Samia Yusuf Omar ou Through Rocks and Clouds de Franco García Becerra au Pérou) aux teen movies ruraux (en France avec Ollie d’Antoine Besse et en Belgique dans Young Hearts de Anthony Schatteman) en passant par le documentaire en Égypte (Les filles du Nil de Nada Riyadh et Ayman El Amir) et l’animation française sur une artiste mexicaine (Hola Frida de André Kadi et Karine Vézina, sur l’enfance de Kahlo), il y en avait pour tous les goûts. Une diversité que Super Seven a pu suivre en accompagnant le Jury Jeune composé de Myriam Atik, Marylène Babimba, Mars (Marylou) Dalys, Clément Guenot et Sasha Kouptsovb. Pendant plusieurs rencontres auprès de professionnels et lors des journées de projections, nous avons pu discuter avec eux, évoquer l’importance de leur rôle – attribuer le prix de leur jury à un film, avec 1000€ pour le lauréat à la clé – et réfléchir ensemble au regard à avoir sur les films aujourd’hui, notamment dans un cadre lié à la jeunesse. Ce qui en est ressorti est une acuité certaine, avec des points de vue tranchés et argumentés en lien avec des valeurs individuelles et collectives. Mais aussi un sens de l’écoute et du débat, la recherche d’une manière de concevoir la cinéphilie et l’accès aux films. D’où l’attribution du prix à Samia, non sans échanges intenses mais courtois, qui cristallise aux yeux des cinq jurés plusieurs enjeux du cinéma contemporain : sortir d’un cadre occidental et remettre en avant le fameusement nommé “cinéma du monde”, questionner des sujets politiques prégnants (ici la migration, au coeur de ce film et du parcours de Samia Yusuf Omar, également figure féministe et inspirante) et enfin partager une appréciation esthétique avec un film construit comme une “course haletante” (cf. compte-rendu du jury).
Un autre film a marqué les esprits, Ollie d’Antoine Besse, au point d’obtenir une mention spéciale du même jury. Il a particulièrement frappé Mars, qui a décidé d’y consacrer sa critique dans le cadre d’un concours organisé par Ciné-Junior pour remporter une accréditation et un séjour au Festival du Cinéma d’Animation de Rennes. Un concours qu’elle a remporté avec un texte, partagé ci-après, qui témoigne de la sensibilité de ce jury mais surtout de l’envie de partager des émotions et interrogations qu’une œuvre peut déclencher. En bref, l’essence de notre activité critique.
Critique d’Ollie, Antoine Besse
Parvenir à faire décoller sa planche, la figure d’Ollie
Le ollie est la première figure de skate qu’on apprend. C’est celle de base, le premier trick qui fait soulever la planche, nécessaire pour avoir accès à la suite, pour sauter par-dessus les obstacles.
C’est aussi le titre du premier long-métrage d’Antoine Besse, porté par ce mouvement qu’il tend à illustrer. Nous y suivons Pierre, jeune garçon envoyé vivre chez son père après la mort de sa mère, alors qu’il navigue dans l’apprentissage de cette discipline aux côtés de Bertrand, ancien expert. Les conseils excentriques de ce dernier aident le novice à gagner en assurance tout en montrant le mentor tirer lui-aussi des leçons de cette relation.
Rares sont les films réellement marquants sur le skate tant il est difficile d’en capturer l’essence sans créer un aspect documentaire, mais Ollie s’impose en reprenant le côté éclatant et urbain de cet art qu’il replace dans un contexte de ruralité. En explorant ainsi cette pratique, Besse tisse des liens avec ce qui l’entoure, entre combats personnels (le deuil, l’indépendance, la confiance) et collectifs (l’agriculture, la famille…) sans finir, comme on peut le craindre avec certains premiers films trop gourmands, en soupe indigeste. Ici, les thèmes sont abordés avec tact : parfois survolés, parfois approfondis, mais toujours avec une grande justesse. Nous pouvons notamment penser aux scènes discrètes entre Pierre (Kristen Billon) et son père (Cédric Kahn) qui offrent un contraste avec les scènes plus explicites de harcèlement que subit le jeune homme, qui se montrent assez violentes pour refléter une dure réalité.
Une belle idée est la mise en parallèle des points de vue de Pierre et Bertrand, tous deux hantés par leurs propres démons et liés d’une manière atypique et touchante. Le skate leur sert de point d’ancrage pour panser leurs blessures et échapper un environnement dur ou un passé à vif.
Entre les problèmes d’ado de Pierre, qui subit un violent harcèlement et tombe amoureux pour la première fois, et ceux de Bertrand, plus durs et adultes (le deuil, la dépendance), tout un chacun peut s’identifier d’une manière ou d’une autre à l’un d’eux. Bertrand est rendu vivant par l’interprétation de Théo Christine, adulte marginal et paumé, qui sert de poumons au film. Explosif, silencieux, menteur, rieur… l’acteur sert une performance qui va chercher au plus profond la psyché de son personnage, offrant des scènes particulièrement marquantes où il s’effondre brutalement. Il crée un délicat contraste avec le jeu de Kristen Billon, qui joue aussi bien l’apprentissage du skate que celui des relations amicales, amoureuses, et familiales d’une manière d’autant plus impressionnante et touchante que le jeune homme n’est pas professionnel, comme plusieurs ados du film. L’écriture d’Antoine Besse nous dresse ici un portrait subtil et doux de l’adolescence et sa grande quête pour trouver sa place.
Or, tout cela s’appuie sur une situation sociale complexe qui s’infiltre dans le récit à travers les yeux de Pierre : au fil d’une dispute entendue à travers un mur, une scène aperçue par la fenêtre… La mise en scène parvient à glisser un message sur la difficulté de la condition des agriculteurs en France entre tous les problèmes d’adolescent de Pierre, prouvant la précision et la subtilité de la réalisation. Cela permet d’apporter un degré de profondeur au film et de développer un paysage rural trop peu représenté au cinéma, mais sans pour autant parasiter la relation qui se développe entre Bertrand et Pierre.
Ollie est donc beaucoup de choses et bourré de qualités, mais il est avant tout touchant et sincère. Il bénéficie d’une grande maîtrise de l’image, avec une scène d’ouverture dans une rave party particulièrement impactante dans son usage de la couleur. Une qualité qui laisse par ailleurs naître une certaine poésie (nous retrouvons un chien blanc symbolique qui rode comme un fantôme autour de Bertrand) qui s’équilibre avec la violence (du harcèlement, des coups, de la drogue) que l’on ressent dans le film.
L’écho que trouve ce film auprès d’un public de tout âge n’est pas surprenant : au cœur de la thématique très actuelle du harcèlement chez les plus jeunes, Ollie est un film important. A la fois classique du film d’apprentissage et profondément original dans son identité et ses personnages, il est garanti d’être un coup de cœur pour beaucoup.
Mars Dalys
S7