Par Super Seven
Des histoires petites et grandes
Travailler à partir d’images d’archives représente toujours un bon point de départ pour un documentaire, tant la puissance évocatrice d’images venues du passé peut être une source inépuisable lorsqu’elles sont soumises à de nouveaux regards. Il s’agit de déterminer le point de vue que ce nouveau regard peut opérer : celui d’une quête personnelle, d’un questionnement inédit, d’un simple spectateur nostalgique, la volonté d’un hommage ou bien un peu tout ça à la fois. Trois films présents dans la section “Au cœur du doc” de cette édition 2025 du FEMA usent chacun à leur manière de ce contraste entre passé et présent afin de faire se rencontrer la (ou les) petite(s) histoire(s) avec la grande.
Le cinquième plan de jetée de Dominique Cabrera est un premier objet assez étrange en la matière. Tout commence lorsque le cousin de la réalisatrice se rend à La Cinémathèque Française pour (re)visionner La Jetée de Chris Marker avec sa fille et pense se reconnaître, avec ses parents, dans le cinquième photogramme du film (un enfant et deux adultes de dos, qui observent les avions à Orly). De la stupeur initiale à cette découverte naît une véritable quête pour s’assurer de sa vérité, reprise de manière obsessionnelle par Cabrera qui s’affaire à questionner tout son entourage familial mais aussi les collaborateurs et experts de Chris Marker pour recouper les informations qui pourraient valider ce lien. Cette enquête personnelle mène à revoir en boucle des plans de La Jetée, mais aussi à se plonger plus généralement dans l'œuvre de Marker, notamment Le joli mai qu’il tournait au même moment, et d’accéder à de nouveaux récits sur sa manière de travailler. Le travail de montage de Cabrera fait en sorte que les séquences où sa famille pourrait prendre trop de place sont contrebalancées par un retour aux sources de son histoire : son propre rapport au cinéma de Marker mais aussi l’influence globale de ce dernier et la manière dont, malgré sa discrétion, il a marqué les mémoires. La question de savoir s’il s’agit bien ou non de son cousin reste sans véritable réponse, bien que cette envie de tous d’y croire se propage au spectateur. Elle reste un prétexte pour justifier une envie d’hommage et de créer un rapport intime à un cinéaste qui semble si hors d’atteinte.
Le cinquième plan de la jetée - Dominique Cabrera
Tamara Stepanyan, dans Mes Fantômes arméniens, rend elle aussi un hommage des plus bouleversants à un proche qui a influencé sa trajectoire à plus d’une manière : son père, l’acteur arménien Vigen Stepanyan. Le projet de ce documentaire est né à la mort de ce dernier, sans doute d’un besoin de faire le deuil de ce lien fort qui unissait la réalisatrice à son père via le cinéma (le film s’ouvre sur des images d’elle enfant, avec sa narration en voix off qui raconte que la télévision de leur domicile était toujours allumée pour voir les programmes cinéma diffusés le soir). Toutefois, au gré des extraits des jalons de la carrière de Vigen Stepanyan, se dévoile aussi une histoire du cinéma arménien sous le régime soviétique. L’héritage personnel devient collectif, et la voix de la réalisatrice qui s’adresse à son père se mêle discrètement aux images de tous ces fantômes du cinéma, symboles impérissables des fantômes du génocide arménien, de la guerre et de la lutte. Tamara Stepanyan trouve le juste équilibre pour maintenir une certaine pudeur dans ce geste très intime (elle ne cherche pas à se mettre en scène, les images privées de son père sont rares et permettent surtout d’éclairer son propre rapport au cinéma), ce qui touche d’autant plus mais permet aussi de laisser l’espace nécessaire à l’envie de (re)découverte d’un cinéma arménien qui a su sans cesse se réinventer pour contrer la censure et raconter l’histoire de son peuple.
La démarche de Benoît Perraud dans Souvent l’hiver se mutine pousse la radicalité de l’usage d’archives encore un peu plus loin, puisqu’il s’agit de l’unique source de matière de son film. Un travail de montage se déploie autour des enregistrements de la vie paysanne du Poitou au XXe siècle, dans un geste non sans rappeler le Et j’aime à la fureur d’André Bonzel dans cette manière de coller les histoires de famille pour créer un nouveau récit. Benoît Perraud reste toutefois en retrait de ces images qu’il ne commente jamais pour privilégier des enregistrements de chants patois ou de témoignages de paysans. Cette absence d’intervention permet de laisser place à de jolies situations qu’il apparaît précieux de pouvoir conserver, mais questionne sur le point de vue du réalisateur, coincé dans une forme de fascination qui empêche le déploiement d’une réelle continuité entre les séquences. En résulte une impression d’assister à une exposition vidéo sur la vie en province dans les années 50, où l’on déambulerait d’un tableau à l’autre sans direction précise. Expérience loin d’être désagréable mais légèrement frustrante à vivre figés dans un siège.
Pauline Jannon
Mes Fantômes Arméniens - Tamara Stepanyan