Par Super Seven
Croire aux miracles
Hasard de calendrier ou choix conscient de programmation, deux films de la section « Au cœur du doc » aux étranges similitudes ont été présentés à quelques heures d’intervalle. D’abord Danser sur un volcan de Cyril Aris, making-of sur fond de tensions politiques et sociales de Costa Brava Lebanon de Mounia Akl, puis Guérilla des Farc, l’avenir a une histoire, nouveau documentaire de Pierre Carles. Tous deux mélangent différents régimes d’images, de l’héritage d’une œuvre cinématographique (Murmures de Maroun Baghdadi pour Aris et Canaguaro de Dunav Kuzmanich pour Carles) à captation en temps réel en passant par des archives externes. Tous deux partent d’un état de fait complexe – entame des négociations de paix entre le gouvernement et les Farc, explosion d’une bombe à Beyrouth à l’aube du Covid – pour aller plus loin, ailleurs, ouvrir des horizons.
C’est d’ailleurs la force de Danser sur un volcan, sa documentation du Liban à un instant T dont la situation influe nécessairement sur la cinématographie locale. Quand la bombe explose au début, c’est le pouls d’un pays meurtri qu’il s’agit de saisir en mettant la création de côté. Cyril Aris navigue dans les rues, cherche les réactions à chaud, et est lui-même mu par l’intensité du moment, l’envie de révolte qui gronde. Puis cette idée s’éloigne pour céder place au vrai sujet : le making of. Exercice intéressant auquel se prête le cinéaste avec sincérité et dévotion mais sans réellement surprendre. Ce qui frappe en réalité, ce sont les rebondissements incessants dans la production du film de Mounia Akl, entre la bombe qui provoque un premier report puis le covid contracté par les deux jeunes actrices. Au milieu les implications économiques pour les producteurs – passionnante scène de table où les comptes sont étudiés en profondeur pour estimer la faisabilité du tournage. À ce petit jeu, la dimension politique s’efface progressivement – malgré un sursaut pour raconter l’entrée délicate dans le pays de l’acteur principal palestinien qui n’est pas sans évoquer le récent Border Line – et Danser sur un volcan tombe dans un formatage assez redondant : on filme le tournage et ce qui l’entoure avec attention et recul. Mais surtout avec espoir car la force sourde de l’entreprise est de croire que, malgré toutes les difficultés rencontrées, Costa Brava Lebanon existera bien. Pari réussi de ce point de vue-là, et il est difficile de ne pas se laisser emporter par l’enthousiasme communicatif de l’équipe qui a tout enduré. Dommage toutefois que le cadre social, les tensions évoquées en préambule et la politique libanaise sur la culture soient relégués au hors champ. Seule la fin les ramène sur le devant de la scène à travers une séquence de manifestation mais il est un peu tard. Les images d’espoir sur le cinéma se sont imposées face à celles de révolte contre un régime. Ce n’est pas forcément grave, simplement un peu maladroit.
Pierre Carles, lui, est on ne peut plus rodé à l’exercice, fort d’une carrière de plus de vingt ans marquée par une déférence envers les médias traditionnels et une envie de bousculer les idées préconçues. Son Guérilla des Farc en est un nouvel exemple. Ce mouvement de résistance colombien jouit d’une bien triste aura aujourd’hui en France – merci Sarkozy et la campagne médiatique sur l’enlèvement d’Ingrid Betáncourt. Pour la majorité d’entre nous, ce sont simplement des terroristes. Pour Pierre Carles et toute personne s’intéressant à l’histoire de Colombie ou visionnant ce film, c’est un contrepouvoir vieux de 50 ans à un gouvernement paramilitaire violent et conservateur. Ce n’est toutefois pas un éloge du groupe qui s’opère mais plutôt une recontextualisation doublée de récits de transmission. D’une part, de Carles au spectateur pour faire connaître la réalité du terrain. De l’autre, de Carles à Duni (Dunav Kuzmanich, qui fut un temps le compagnon de sa mère et avec qui il a grandi), mort en 2008 et à qui s’adresse la voix off du cinéaste pour lui raconter les nouvelles péripéties de ses camarades. Avec un tournage étiré sur une dizaine d’années, interrompu par le Covid et relancé par une surprise de taille (l’élection d’un gouvernement de gauche sous la houlette de Gustavo Petro et Francia Márquez, une première pour le pays), c’est la consécration de la lutte des Farc que Carles donne à voir dans toute sa complexité. À son immersion dans le quotidien du groupe, faite de discussions en espagnol (et en français avec Nathalie Mistral, seule étrangère sur place) sur les raisons de l’engagement et les différentes actions – allant de la tentative de discussion aux enlèvements contre des rançons –, s’opposent des séquences de combat ou de propagande filmées par les militants eux-mêmes. La guérilla prend ainsi toute son ampleur ; les champs de bataille saisis en temps réel révèlent l’horreur de la situation entre les deux camps pendant que la glorification des valeurs laisse parfois songeur quant à certaines velléités politiques. Guerre d’idéologie et guerre de régimes d’images qui permet à Carles de développer une narration à tiroirs faite de compromis à l’image des négociations en cours. Surtout, c’est ultimement le triomphe d’un point de vue, celui de la gauche militante qui prend forme par la bienveillance du regard de cinéaste, avec cette élection d’un gouvernement de gauche qui offre un léger sourire. Un sourire amer à nos yeux de spectateurs français eu égard aux résultats du premier tour des législatives et à l’annonce des duels à venir pour le second. Tout n’est pas perdu, on le sait, et Guérilla des Farc maintient une petite flamme. Espérons seulement que son sous-titre s’applique chez nous aussi car en votant bien (mieux même à l’échelle du territoire) l’avenir aura une histoire.
Elie Bartin