Par Super Seven
Des histoires de famille
Prêter un œil attentif à ce qu’il y a de plus proche de soi, en rentrant dans l’intime, est peut-être la manière la plus simple et directe dans la démarche documentaire pour toucher à l’universel.
La sélection Au cœur du doc du FEMA 2024 nous le prouve une nouvelle fois, avec plusieurs œuvres qui touchent aux dynamiques familiales dans ce qu’elles ont de plus personnelles — malgré une diversité des formes —, et qui parviennent tout de même à s’adresser au plus grand nombre.
A commencer par Maman déchire, le nouveau documentaire d’Emilie Brisavoine, dans lequel elle mène une enquête au cœur même de sa famille pour comprendre le traumatisme causé par son enfance avec sa mère.
Figure tyrannique pour Emilie et son frère Florent, mamie gâteau pour ses petits-enfants, elle est avant tout une femme devant elle même gérer ses propres fantômes familiaux au sein d’une génération ne disposant sans doute pas des mêmes outils que celle de sa fille pour y faire face. Elle lorgne alors — du fait de l’intrication de différents facteurs (mécanismes de défenses, personnalité fantasque, environnement social post conflits mondiaux…) — vers une clinique bipolaire de toute évidence difficile à accepter pour ses proches.
La démarche pourrait verser dans le ridicule tant elle est autocentrée sur les affects de la réalisatrice, qui se filme à plusieurs reprises dans son lit, dans une étrange mise en scène de ses réflexions introspectives quotidiennes. Une bascule s’opère néanmoins lors d’une séquence pas loin de provoquer un profond malaise. La mère-protagoniste revient sur son accord pour se faire filmer et s’énerve en hors champ, peut-être pour la première fois avec sincérité (sans non plus dire avec lucidité) sur sa vision du mal-être ambiant. Emilie Brisavoine se dépêtre de cette situation délicate en resserrant le cadre sur elle-même, insufflant au passage une auto-dérision bienvenue pour mieux embrasser à bras le corps le kitsch dans toute sa splendeur. En plus d’images de cosmos en surimpressions douteuses pour mêler compréhension du fonctionnement de l’univers et de son cerveau, la réalisatrice se montre dans tous ses états, s’enfonçant à travers l’ésotérisme (du magnétiseur aux vidéastes de développement personnel) dans une quête de plus en plus absurde qui permet de dédramatiser la situation et laisser son entourage reprendre peu à peu sa place.
Les sourires provoqués révèlent une réflexion touchante d’Emilie Brisavoine, sa place en tant que femme et en tant que mère, sur son rapport à ses propres enfants, sur un frère rongé par l’angoisse qui évacue en somatisant, et sur une famille dysfonctionnelle dont les membres ne peuvent pourtant pas vivre les uns sans les autres.
Le veilleur traite lui aussi des liens parents-enfants, mais une distance est d’emblée instaurée par la non-appartenance des réalisatrices au microcosme familial. Une distance génétique mais aussi culturelle, puisque les deux françaises Lou du Pontavice et Victoire Bonin Grais s’intéressent aux dynamiques d’un trio parents-enfant chinois.
On devine rapidement que Zhaohang est né durant la période de politique de l’enfant unique, faisant de lui un catalyseur de toutes les projections et espoirs de ses parents. Les cinéastes s’affairent donc à montrer son chemin vers la réussite, lorsqu’il intègre une prestigieuse école de musique à l’étranger. Une expérience rêvée pour quiconque souhaite prendre son indépendance mais qui laisse le jeune homme tiraillé entre les préoccupations adolescentes et la loyauté infaillible envers sa famille. Il est impossible pour lui lors des nombreux appels FaceTime de réagir lorsque sa mère lui trouve l’air triste, ou d’exprimer autre chose que les banalités qu’ils souhaitent entendre.
La réussite du film réside dans l’idée de filmer non seulement l’existence de cette relation uniquement à travers des interfaces numériques, mais aussi les tracas individuels de chaque côté du téléphone une fois que l’appel est terminé. On suit tantôt Zhaohang qui suit des cours d’anglais avec d’autres jeunes, tantôt ses parents qui profitent d’un instant à deux sur une plage déserte. Le dispositif léché contraste avec l’impression fugace de voyeurisme qui peut exister, et amène le documentaire vers une forme proche de la fiction (on peut penser par exemple à Boyhood, qui explore lui aussi les thématiques de l'émancipation des projections familiales à travers le temps), due également à l’indifférence des personnages pour la caméra.
Le veilleur - Lou du Pontavice & Victoire Bonin Grais
C’est ici que Le sentier des absents trouve sa limite dès la première séquence, montrant le discours d’une mère à l’enterrement de son bébé mort-né filmé au téléphone. Ce dispositif viole la limite de l’intime de ses sujets, provoquant d’emblée un mouvement de recul pudique chez le spectateur.
C’est l’annonce d’une narration maladroite car guidée par les affects débordants de la réalisatrice, elle-même mère endeuillée et qui annonce rapidement filmer ces images dans un but avant tout thérapeutique et personnel. Malheureusement cette labilité tend à rendre la position de spectateur embarrassante, avec une impression prégnante d’assister à une thérapie de groupe sans y avoir sa place. Le procédé évolue néanmoins vers des images embarquées au caméscope qui rappellent ces films de famille où les parents ne sont que des voix en hors-champ, fascinés par leurs enfants qui ne sont ici que fantômes et fantasmes.
L’intérêt est d'ailleurs, dans la variété des profils de mères qui ont accepté de s’exprimer, tant en termes de milieu social que de culture, puisqu’il apparait évident que leur douleur est la même, et l’épreuve à traverser tout aussi difficile peu importe le contexte dans lequel elle est arrivée.
Sans rien révolutionner, Eugénie Zvonkine met posément en avant la nécessité d’une certaine pair-aidance par ce collage de témoignages, qui sans faire oublier ses tristes balbutiements parvient à nous garder attentifs, à l’écoute.
Pauline Jannon
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